Une rue sépare la prison d’Ambalatavoahangy de l’Hôtel de ville de Toamasina. Reportage au cœur de l’établissement pénitentiaire pour mineurs et rencontre avec certains jeunes détenus.
Tolotra Andrianalizah
Passer les portes d’une prison donne toujours une étrange sensation. Dans une volonté de démystifier la vision que les « gens du dehors » ont du milieu carcéral, le directeur régional de l’administration pénitentiaire (DRAP) Jérémy Napou avance que la prison est faite pour tout le monde. « J’aime dire aux gens que nous sommes tous en liberté provisoire. Un seul faux pas peut conduire une personne ici du jour au lendemain », lance-t-il avec une légèreté déconcertante.
Un peu plus de « luxe »
Un faux pas, chacun des 29 jeunes garçons du quartier mineur de la prison d’Ambatalavoahangy en auurait commis. A l’écart des autres détenus, en l’occurrence des hommes et des femmes, les mineurs sont plutôt bien lotis avec un demi terrain de basket rien que pour eux (même si leur ballon était crevé au moment de notre passage). Il faut dire que l’espace est un luxe dans cette prison qui souffre de surpopulation – comme tous les autres établissements pénitentiaires d’ailleurs – avec quelque 1600 détenus pour une capacité de 350. Dans le quartier de ces jeunes, il y a même une télé. « Leur télécommande est cassée pour le moment », lance l’éducateur spécialisé Nathan Randriantsoa. Ce dernier, qui travaille pour le bien-être de ces jeunes, fait savoir qu’outre la détention proprement dite, l’administration pénitentiaire a pour mission l’humanisation de celle-ci et la préparation à la réinsertion au niveau de la société. C’est à cet effet que les postes d’éducateurs spécialisés et d’encadreurs ont été créées, indique Jérémie Napou.
Contact interpersonnel
Nathan Randriantsoa accompagne justement ces mineurs. « L’éducateur spécialisé est un travailleur social mais qui est basé à la prison. Dans ce sens, il se penche sur le respect des droits humains et s’intéresse à des questions comme l’alimentation et le bien-être en général des détenus », explique-t-il. L’approche se fait ainsi au cas par cas avec beaucoup de contact interpersonnel. « Les gars se confient beaucoup plus à nous. Ils nous partagent leurs problèmes et leurs aspirations. C’est à travers cela qu’on identifie leurs besoins pour pouvoir mettre en place des activités qui puissent les soulager », poursuit-il en racontant par exemple qu’avant le confinement des matchs de foot sont régulièrement organisés contre des jeunes de l’extérieur.
L’empathie comme un ingrédient clé
Nathan Randriantsoa se sent responsable de ses protégés. Il indique toutefois que la formation qu’il a reçue l’oblige à prendre du recul. « C’est difficile en tant qu’homme. Il y a des histoires qui vous touchent. C’est obligé, lance-t-il. Mais dans le métier, il ne s’agit pas de sympathie mais plus d’empathie par rapport à ce que vivent ou ce qu’ont vécu ces jeunes. Si vous mettez en avant la sympathie, cela ne fonctionne pas ». Malgré sa formation et son expérience, Nathan Randriantsoa avoue qu’il y a des moments où il se sent dépassé. « Il arrive que je ne trouve pas le sommeil certaines nuits en pensant à un cas. Mais on doit essayer de toujours s’améliorer pour le bien de ces jeunes », poursuit-il.     Â
Le soutiens des proches et autres
Considérés comme vulnérables, les mineurs ont particulièrement besoin de soutien et de quelqu’un pour les écouter. Selon Nathan Randriantsoa, c’est important pour leur équilibre. C’est à ce niveau que les visites des proches sont essentielles. « Je suis heureux et triste à la fois lorsque les membres de ma famille viennent me voir. Ils me disent qu’ils sont toujours avec moi. J’aime ça. Mais je me sens triste lorsqu’ils partent et que je sois obligé de rester ici », indique un des mineurs. Tout le monde n’a cependant pas cette chance. En effet, bon nombre de jeunes détenus n’ont reçu aucune visite depuis leur incarcération. « Ca fait 15 mois que je suis ici. Personne ne m’a visité. Je vis avec ce que me donne l’Etat et les donateurs. C’est difficile. Je me sens seul, mais je refuse de me morfondre. Dieu est avec moi », témoigne un jeune dans ce cas. Il faut dire que plusieurs associations religieuses travaillent dans la prison d’Ambalatavoahangy. Elles apportent des vivres et aussi un accompagnement spirituel aux détenus.
Deuxième chance
Pour ce qui est de la réinsertion proprement dite, Nathan Randriantsoa tient à souligner que la prison est une préparation. « La société doit poursuivre notre travail. Ce n’est malheureusement pas le cas pour tout le monde, déplore-t-il. Je connais un jeune qui depuis les 4 ans que je suis ici est revenu au moins 8 fois en prison ». Les jeunes bénéficient en effet de formation en tout genre durant leur séjour allant de l’agriculture à l’artisanat en passant par la menuiserie. Il arrive que les produits des détenus soient mis en vente devant la porte de la prison. « Je peux vous dire que je suis un client », lance d’ailleurs le DRAP Jérémy Napou non sans une certaine fierté. « Ces jeunes ont besoin qu’on leur donne une nouvelle chance », conclut-il.
Des personnes comme Nathan Randriantsoa s’impliquent corps et âme pour donner du baume au cœur, mais surtout une lueur d’espoir aux êtres humains derrière ses hauts murs d’Ambalatavoahangy. Une prison située en centre-ville comme pour rappeler à tout le monde que « nous sommes tous en liberté provisoire » …