Aucun sport ne rameute autant de public que le rugby à Antananarivo. Des petits tournois de quartier à l’élite du Top 14 (Championnat de première division), les matchs se font souvent à guichet fermé notamment dans l’antre de Malacam à Antanimena. Ce sport est pourtant devancé par des préjugés tenaces.
Sport de voyous, sport de « mpanendaka » (voleurs à la tire), … voilà des qualificatifs qui précèdent souvent le rugby à Madagascar. Ce sport a pourtant fait et fait la fierté du pays et ce, bien avant l’épopée des Maki à la CAN avec la victoire notable face à la Namibie sur la pelouse de Mahamasina en 2012. Au-delà des préjugés, c’est aussi le sport qui crée le plus d’engouement notamment dans la capitale. Largement plus que le football. « Tu peux avoir guichet fermé même pour un match de troisième division », lance Tovo Rapelanoro alias « Tovolah », ancien rugbyman et collaborateur à l’Université d’Antananarivo dans le développement de la culture et du sport en milieu universitaire.
Sentiment d’appartenance
Herisolo fait partie de ces personnes qui voient plus le rugby comme un sport de brutes. Pourtant, son mari et son fils y jouent et font partie de l’équipe d’Anjanahary, FTA. Malgré ses a prioris sur ce sport, elle est pourtant une fervente supportrice de l’équipe. « Je n’aime pas ce sport mais je supporte mes hommes lorsqu’ils sont sur le terrain », indique-t-elle. Son fils, Naly, 23 ans, évolue au poste de deuxième ligne. Il y a deux ans, il a participé à la montée en première division de son équipe. « Ce jour-là , c’était la fête dans le quartier. Même la rue était bloquée », se souvient Herisolo. L’une des particularités du rugby, du moins à Antananarivo, c’est le sentiment d’appartenance que les habitants des quartiers ont pour leur équipe.
Respect
C’est l’une des raisons qui expliquent la grande influence lors des rencontres avance Tovolah. « Lorsqu’Ankadifotsy joue par exemple, c’est tout Ankadafotsy qui se déplace. Il en est de même pour les autres quartiers », poursuit-il en ajoutant que cela crée une certaine de rivalité entre les équipes et par extension, entre les quartiers. Naly confirme en ajoutant que lorsqu’il y a une grosse affiche, le match commence bien avant. « On se chambre souvent sur les réseaux en postant des photos des entrainements par exemple avec de petites provocations ici et là  », indique-t-il. Quoi qu’il en soit, il souligne que les joueurs se respectent beaucoup entre eux sur et en dehors du terrain. « Il y a rarement des bagarres entre joueurs. C’est souvent chez les supporters que ça se chauffent parfois », lance-t-il. Sur ce point, Tovolah, indique que les bagarres sont surtout dues aux paris. « Il y a beaucoup de paris qui se font durant un match. Il arrive que cela éclate en bagarre », ajoute-t-il.
Leçon de vie
Malgré les préjugés, Tovolah et Naly se disent fier d’être rugbymen. « Ce que j’aime dans ce sport c’est la combativité », déclare le plus jeune. Tovolah, aussi surnommé « Ngezah », a joué dans le pack d’avant d’Ankoay. Pour lui, le rugby c’est une leçon de vie. « Il y a cette volonté d’aller de l’avant mais avec des passes en arrière. Comme quoi, il faut avancer tout en regardant ceux qui sont derrière. Il y a aussi la discipline car le jeu est très règlementé. Sinon c’est aussi très stratégique », explique-t-il. En effet, contrairement à ce que les gens peuvent penser, le rugby est un sport très cérébral, souligne Tovolah. Il indique toutefois qu’il y a une part de vérité dans les préjugés autour de ce sport. « Le rugby est effectivement très populaire dans les quartiers difficiles. Je pense que Berthin (Rafalimanana) compte écrire un livre qui explique ceci ».
Battre les « vazaha »
Berthin « Zoto » Rafalimanana n’est autre que l’emblématique entraineur de l’équipe nationale durant près de 3 décennies. Il est aujourd’hui responsable du développement du rugby en Afrique. « Je compte en effet sortir deux livres dont l’un raconte l’histoire du rugby à Madagascar depuis 1905 à 2020 », lance-t-il.  D’après lui, le fait que le rugby soit aussi populaire dans les « bas-quartiers » s’explique par l’histoire. « Durant la colonisation, le rugby était une occasion de battre les « vazaha » (Français). Les gens de la Haute-Ville faisaient alors appel aux « gros bras » des bas-quartiers. Une fois que les colons étaient battus, ils ont abandonné progressivement la pratique de ce sport. Mais pas les gens d’en bas », résume-t-il en ajoutant que le caractère rugueux du rugby correspondait à la réalité que vivent ces derniers. Il a par ailleurs ajouté que le rugby est peut-être le premier sport collectif qui a permis aux Malgaches de sortir du pays pour la première fois. « C’était en 1957 ». « Pour tout joueur de rugby, porter le maillot de l’équipe nationale est une consécration », conclut Tovolah, qui n’en a jamais eu l’occasion.  Â
Tolotra Andrianalizah
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