Lancés de pierres, pneus de voiture en feu, vitres cassées, bombes lacrymogènes, personnes appréhendées par les forces de l’ordre…Dès qu’on parle de grève, ces accessoires sont souvent accompagnés de ce genre d’actes. Pourtant, d’autres types de revendications peuvent se faire comme la résistance civile non violente. Le directeur du civisme, de la paix et du développement durable auprès du Ministère de la jeunesse et des sports, Andrianina Lantoarivelo Rajoharisona, et la présidente de l’association Liberty 32, Lalaina Randrianarimanana, répondent à nos questions sur ce sujet.
Studio Sifaka : Qu’est-ce qu’on entend concrètement par « résistance civile non violente » et comment cela se pratique ?
Andrianina Lantoarivelo Rajoharison : C’est une sorte de manifestation où il n’y a pas d’échauffourées ou d’émeutes vis-à -vis des forces de l’ordre. Les marches peuvent être classées comme des actes de résistance civile non violentes, elles ne comprennent pas de forme de violence mais on peut faire passer des messages à travers les revendications de la communauté. On peut prendre l’exemple de l’accession à l’Indépendance de l’Inde où le patriarche Nehru Gandhi a fait la grève de la faim pour la demande de l’Indépendance.
Lalaina Randrianarimanana: C’est une forme de militantisme pour réclamer la justice, les droits et la liberté d’une manière pacifique, en utilisant des outils qui véhiculent la paix. En même temps, on fait une pression sur cette demande de liberté. On peut boycotter, on peut adresser une lettre à la personne concernée dans la requête. Dans la pratique, le plus important, c’est d’être créatif.
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Quelle est l’importance de ce genre de pratique pour la communauté ?
A.L.R : La résistance civile non violente peut contribuer au développement d’une communauté. Il n’y a ni de séquelles dans les activités des jeunes entrepreneurs, ni de troubles sociaux. La « résistance civile non violente » intègre les manifestants dans une critique constructive.Â
L.R : Le plus important c’est l’engagement des militants. Les participants essaient d’être concrets dans leurs demandes, d’être provocateurs sans être violents.
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Mais durant les revendications, comment mesurer si notre langage est non-violent ?
A.L.R : Ceux qui hurlent ne réussiront pas à transmettre leur message à leur(s) interlocuteur(s). Les violences ne se limitent pas aux coups et aux blessures. Quand vous faites une requête et que vous choquez la partie adverse avec des mots blessants, c’est de la résistance violente. Il faut avoir une capacité de discussion et faire preuve de compétences auprès de l’autre partie.
L.R : Cela dépend de la définition universelle de la « violence ». On est violent quand on attaque la personne de manière personnelle. Quand on fait de la résistance civile, on a une demande précise, donc on va attaquer une personne par et pour ses actes. Par exemple, si l’on fait une requête en faveur d’une personne qui a été incarcérée sans le respect de ses droits, on n’attaque pas le juge en personne, on s’attaque à la justice et à la décision prise dans ce cadre.
A-t-on déjà pratiqué ce type de manifestation à Madagascar ?
A.L.R : Si l’on se réfère d’abord aux cinq principaux mouvements dans le pays, ceux de 1972, 1991, 2002, 2009 et 2018, c’était de la manifestation violente et il y avait eu des destructions de biens publics. Pour les événements organisés par Wake up Madagascar et Liberty 32, je parlerais plutôt d’activisme. Ils ont voulu changer une situation, comme quand ils ont amené des assiettes vides à Antaninarenina pour dénoncer l’inégalité entre les malgaches, par rapport à la grande réception à chaque fête de l’Indépendance au palais de Iavoloha.
L.R : Les communiqués sont les pratiques les plus utilisées à Madagascar. Récemment, à Toamasina, après le décès du jeune homme suite à la violente manifestation, les étudiants ont organisé une marche pacifique, pour une demande de justice. Les activistes malgaches ont aussi manifesté à Antaninarenina durant le Sommet de la Francophonie en 2016. Nous avons mis des nœuds de couleur noir et des pancartes pour faire connaître de manière symbolique aux invités internationaux les réalités à Madagascar.
Quels genres de programmes vous réalisez pour permettre aux jeunes de s’initier à ce type d’action ? Â
A.L.R : Nous avons commencé un programme d’information dont l’éducation citoyenne à Majunga. Nous avons initié les jeunes à savoir quels sont leurs droits mais aussi à respecter les biens publics lors des manifestations. S’ils veulent réclamer leurs droits lors des manifestations, ils peuvent le faire calmement. Nous effectuons des descentes sur terrain surtout au niveau des associations, car pour nous, ce sont les centres des jeunes, ils les forment au sein de la communauté.
L.R : Nous avons des programmes de formation sur la résistance civile pour qu’elle soit pratiquée dans la vie quotidienne. Nous formons des personnes issues de différents groupes : syndicats, activistes dans différents domaines, citoyens lambdas…pour qu’ils deviennent des leaders d’opinion et influenceurs.
Lalaina Randrianarimanana de Liberty32, est-ce que l’on atteint vraiment nos objectifs lors de ce genre de requête ?
L.R : Je pense que la manifestation par rapport à la réception de Iavoloha est un bel exemple de la réussite de la résistance civile que nous menons. Nous avons vu que depuis 2 ans, il n’y a plus de grandes réceptions à Iavoloha. C’était une manière à nous de faire prendre conscience qu’il y a plusieurs façons de présenter les vœux, surtout dans un pays comme Madagascar, où beaucoup de gens souffrent de la famine. Pourquoi, de l’autre côté, on gaspille l’argent de l’Etat et des citoyens avec une réception de 5.000 personnes. Nous avons collecté les assiettes vides pour les donner à une association. Dans la résistance civile, il faut être patient, il faut être à l’écoute des alliés. Et les actions à mener sont interdépendantes des objectifs à court terme, à moyen terme et à long terme. Ce ne sont pas les résultats qui comptent mais surtout les engagements des citoyens dans leurs causes. Il y a des actions qu’on peut mener collectivement mais il y a aussi des actions qu’on peut mener individuellement.
Propos recueillis par Mampianina RandriaÂ