Le séisme sur la planète football dont l’épicentre se trouve en Europe s’est ressenti jusqu’à Madagascar. Rejoignant la position de nombreux fans dans le monde, les fans malgaches du ballon rond ont affiché pour la plupart leur scepticisme voire leur déception vis-à -vis de la Super League, un projet qui ne verra pas encore le jour après le retrait des clubs anglais.
Petit rappel. La semaine a débuté avec l’annonce de la création d’une European Super League (ESL) avec pour ambition de remplacer le modèle actuel de la Ligue des champions, estampillé UEFA, l’instance européenne de football. Douze « grands clubs » (Manchester United, Tottenham, Liverpool, Manchester City, Chelsea et Arsenal, Real de Madrid, Atlético de Madrid, FC Barcelone, Juventus, Inter de Milan et Milan AC) sont à l’origine de ce projet dont le président est le numéro un du Real, Florentino Pérez. Parmi les arguments retenus par les fondateurs, la baisse de l’intérêt du public par rapport à la Ligue des champions et la promesse de match plus attrayants.
Déception
Les détracteurs du projet par contre voient surtout l’aspect financier et craignent qu’il ne dénature l’essence même du football. Il faut dire que la Super League a provoqué un tollé dans le monde du ballon rond et même au-delà . Plusieurs personnalités sportives et politiques l’ont dénoncé et que dire des supporters qui se sont sentis trahis, un sentiment partagé par les fans malgaches de football.
« Vraiment dégueulasse, lance Hajatiana Elric, un fan de Liverpool. Le football doit être du sport et une passion avant d'être du business. Il est plus difficile pour Liverpool que Bill Shankly a construit autour de son football du peuple, le football socialiste comme il le dit, d'accepter ce nouveau système » (ndlr, Bill Shankly, manager emblématique de Liverpool FC). « On ne peut qu’être déçu, indique pour sa part Andrimanambe Raoto, supporter du Real. Le Real de Madrid a été toujours au premier rang dès qu'il s'agissait de révolutions footbalistiques, notamment dans les compétitions de clubs européens où il est le club le plus titré et où il a une très grande histoire. Il n'est pas étonnant qu'il se soit positionné en faveur de cette compétition. Cependant, en tant que fan du Real, fan de football surtout c'est une grande déception ».
Plus de place à l’exploit
Concernant l’intérêt des matchs soulevé par Florentino Pérez, Andrimanambe Raoto souligne que la part "David contre Goliath" fait le charme de la Ligue des champions où des petits clubs peuvent parfois battre des grands. « Le football est aussi cette espèce d'inconnue qui en fait le charme. Dans l'histoire récente, voyez comme le Liverpool a pu renverser le Barca ou comment le PSG, soi-disant petit, a réussi à se défaire du Bayern », illustre-t-il. Justement, Rina Rasoava, un aficionado du PSG, se pose la question du mérite des équipes actuellement qualifiées pour les quarts de finale de la Ligue des champions selon le critère de Perez. « Aucune de ces équipes ne sont leaders de leur championnat actuellement excepté Manchester City. Avec cette Super League donc, les équipes qui ne sont pas championnes la joueront toujours. En tout cas si le projet va jusqu’au bout, ça en est fini des sensations et des émotions quand un club moyen réalise un exploit sur la scène continentale. Il y a aussi le risque que les joueurs phares ne joueront plus que pour ces « grands clubs » », indique Rina Rasoava ajoutant que c’est avec la Ligue des champions dans sa formule actuelle qu’il prend du plaisir.
Tsiky Rahagalala, fan de Chelsea et du Real, figure parmi les rares soutiens au projet. Il rejoint dans ce sens l’argument de Florentino Perez. « Moi j'aime bien l'idée d'une Super league à la NBA. Il y aura plus de spectacle et de rencontres de très haut niveau très régulièrement », lance-t-il, même s’il avoue que les exploits des clubs comme Leicester, Porto ou Lille font le charme du football. « D’un autre côté, en jouant à PES ou à Fifa, on fait rarement des matchs Burnley-West Ham. La Super league c’est un peu la même chose ».
Business, business
Au-delà du sport, le côté business est également avancé par Florentino Pérez qui souligne une crise économique liée à la pandémie notamment avec une éventuelle baisse des droits TV, principale source de revenu des clubs. « Lorsque vous n'avez pas de revenus autres que ceux issus des droits TV, il faut organiser des matchs plus attrayants. C'est sur cette idée que nous avons commencé à travailler. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'en faisant une Super League pendant la semaine, au lieu de la Ligue des champions, nous serions en mesure d'atténuer la perte de revenus », a-t-il indiqué sur un plateau de télévision.
Mirado Rakotoharimalala, secrétaire général de la Pro League, première véritable ligue de football à visée professionnelle à Madagascar, apporte une toute autre vision des choses. « Je comprends l'envie de mettre en place l'ESL dans la mesure où les clubs investissent beaucoup et qu’ils veulent rentabiliser leurs investissements. De toute façon, ils ne seraient pas là où ils sont s'ils n'ont pas été soutenus par des investisseurs « étrangers ». Le ticketing et l'apport des fans ne suffisent pas s’ils veulent garder ce niveau-là  », lance ce spécialiste en marketing sportif. Il ajoute que le business model de l’ESL est très américain. « Ça aurait pu se passer là -bas sans souci. En Europe, on reste très traditionnel avec les fans et la culture mais paradoxalement, sans investissement, les clubs soutenus par les fans n'auraient même pas joué la seconde division sans investissement étranger. Le temps est révolu donc on est à un moment où le foot européen devient financier que populaire », analyse-t-il. Pour conclure, il confirme que la Super League serait super économiquement pour les grands clubs mais il y aurait une cassure entre une minorité de riches et les autres. « La question qui se poserait est comment on fait pour balancer tout ça ».
Vers l’abandon du projet
Les détracteurs du projet sont conscients de l’importance de l’argent mais insistent sur les valeurs que véhicule le football. « Nous ne nous voilons pas la face par rapport au côté business mais pas au point de détruire les valeurs sur lesquels le club a été fondé. Liverpool est un club du peuple, et nous tenons à cette image. L'argent a contribué au progrès du football moderne mais l'avidité va causer son déclin », fustige Hajatiana Elric. « Le football n'est pas que des intérêts. C'est un vecteur de cohésion, ce sont de magnifiques histoires – les gamins des quartiers pauvres qui deviennent des superstars, ce sont des valeurs universelles de courage et d'amitié. Aujourd'hui, la discipline est devenue une industrie. Mais, ne soyons pas naïfs, le football est une histoire d'argent aussi. Là où je suis d'accord avec les frondeurs, c’est que les profits générés par un spectacle comme la Ligue des champions doivent être redistribués », conclut pour sa part Andriamanambe Raoto.
Aux dernières nouvelles, la Super league vient d’essuyer un sacré revers 48h après sa création. Devant la pression de tout bord, les six clubs anglais ont signifié leur retrait du projet. Ils devraient être suivis par l’Atlético de Madrid et l’Inter de Milan dans les prochaines heures.