La société civile s’adonne-t-elle à la politique politicienne ? Le raccourci est vite fait lorsqu’elle se prononce sur certaines thématiques. Hery Rason, coordonnateur du séminaire de la société civile Havoria, s’exprime en marge de l’évènement.
En 2021, quel est le poids de la société civile dans la vie publique à Madagascar ?
Elle est écoutée mais la question est de savoir si ce qu’elle propose est mis en œuvre. Par exemple, nous avons fait pas mal de recommandations dans le cadre d’un projet qui s’appelle STEF, Suivi de la Transparence et de l'Effectivité des Fonds alloués à la pandémie COVID19. On vous écoute, on prend note, on réagit par rapport à vos recommandations, nous dit-on, mais finalement, elles ne sont mises en œuvre qu’à hauteur de 40%. C’est un constat. En gros, nous avons l’impression de prêcher dans le désert. Il faut commencer par-là  : essayer de renforcer notre voix pour un peu plus d’impact plus tard.
Un des intervenants à l’ouverture du séminaire a parlé de thématiques plus difficiles à aborder que d’autres. Quelles sont-elles et comment se manifestent ces difficultés ?
Oui, il y a des thématiques qui sont plus faciles à aborder. Ce sont des thèmes qui n’ont pas forcément une consonance politique, des thématiques qui ont vocation à apporter un bénéfice à un maximum de gens. C’est le cas probablement de l’éducation. Je salue l’étroite collaboration avec le ministère de l’Education nationale, un ministère que je peux qualifier de plus ouvert en ce moment au sein du gouvernement. Mais dans des thématiques comme l’accès à l’information, la liberté d’expression ou la démocratie, on a tendance à nous catégoriser en tant qu’opposition dans la mesure où c’est dur de trouver des points positifs en ce moment.Â
Pouvez-vous en dire plus ?
Par exemple quand on utilise les prérogatives de l’exécutif à tort pour restreindre la liberté d’expression dans le cadre de la loi sur la situation d’exception, nous ne pouvons que dire que c’est liberticide. Notre voix pourrait alors tendre vers celle de l’opposition. C’est là où les gens commencent à faire l’amalgame entre la société civile et l’opposition alors que c’est tout à fait différent. Nous avons d’ailleurs travaillé avec l’ordre des journalistes qui fait partie de la société civile en rédigeant une requête au niveau du Conseil d’Etat qui finalement a abouti à un non-lieu parce que la décision que nous avions attaquée a été modifiée. Ceci pour dire qu’il y a des thématiques qui relèvent de la bonne gouvernance et de la démocratie qui sont forcément plus difficiles à aborder pour les organisations qui travaillent dans la promotion de l’Etat de droit. C’est plus délicat. La société civile est avant tout un acteur positif. Nous essayons d’être positifs au maximum, mais avec tout ce qui se passe dans le pays, nous sommes obligés de dire les choses telles quelles.
Comment se détacher de cet amalgame ?
Premièrement, il y a une mauvaise conception comme quoi la société civile fait de la politique. Mais tout le monde fait de la politique. Par définition, la politique c’est organiser une cité, donc à la base les citoyens participent à l’organisation de la cité. En tant que simple citoyen, si on ne s’intéresse pas à la vie publique, on ne peut qu’accepter tout ce qui se passe. Et quelque part, on n’a que ce qu’on mérite. On a les dirigeants qu’on mérite. Donc nous essayons d’abord en ce moment de rectifier notre communication, d’encourager les gens à participer dans la politique. Il n’y a pas de mal à faire de la politique. Il n’y a pas de mal à donner son avis sur la vie de la nation. C’est tout à fait normal. Mais la différence de la société civile c’est qu’elle a le rôle d’influencer positivement les décisions politiques. Elle n’a pas essence à briguer un poste ou un mandat électif. Nous sommes un intermédiaire entre l’élu et le simple citoyen, parce qu’en vrai, le processus de redevabilité est vraiment lacunaire en ce moment. C’est là où nous nous situons. Nous essayons de prendre les avis des citoyens et de les donner aux élus. C’est d’ailleurs l’une des raisons de ce séminaire, c’est mettre en place un cadre de concertation entre la société civile et les parlementaires.Â
Est-ce le citoyen malgache s’y intéresse finalement ? Le problème n’est-il pas là  ?
Dit comme ça, quand on parle d’accès à l’information, de protection des défenseurs des droits humains, ça n’interpelle pas directement les citoyens. Mais quand on y pense, ça concerne l’accès à l’information. C’est l’étudiant par exemple qui veut avoir des informations pour son mémoire. En vérité, les citoyens s’y intéressent mais ils ne le savent pas et c’est là l’effort du séminaire, de traduire en langage courant ce que signifient réellement les enjeux. Sur la protection des défenseurs des droits humains, il y a beaucoup de personnes qui veulent dénoncer des choses mais le risque est grand avec la prison et tout. C’est notre rôle au sein de la société civile de faire de la sensibilisation. Et c’est ce que nous faisons en ce moment. Nous avons fait par exemple aujourd’hui une vidéo qui présente les principes fondamentaux d’une loi sur l’accès à l’information.Â
Havoria en quelques mots …
Le concept Havoria, c’est depuis 2014. C’est l’ambassade de France qui a commencé à initier ce séminaire de la société civile. Pour cette année, nous avons commencé à nous approprier le séminaire mais toujours avec les fonds de l’ambassade avec l’appui de Fanainga. C’est l’ONG Ivorary qui a pris la coordination mais derrière tout ça, il y a quand même quarante organisations de la société civile qui se sont regroupées pour organiser ce séminaire. L’idée est de faire en sorte que ce ne soit pas juste un évènement mais que ce soit un outil pour faire du plaidoyer par rapport aux thématiques de l’accès à l’information, la meilleure participation des jeunes et des femmes au niveau des structures de concertations à la base et la mise en place du conseil économique social et culturel tel qu’il est prévu par l’article 105 de la Constitution. Il y a aussi la mise en place d’un dispositif qui va garantir la protection des défenseurs des droits humains qui est au stade d’avant-projet de loi. Le texte sera soumis par le ministère de la Justice en conseil de gouvernement bientôt.
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah