Les premiers éléments des enquêtes menées respectivement par la Gendarmerie et la Commission nationale indépendante des Droits de l’Homme sur la tragédie d’Ikongo sont dévoilés. Les récits sont glaçants. Ils mettent surtout en lumière une situation où la violence est banalisée et où la vindicte populaire fait loi.
Comme un hasard, le secrétaire d’Etat à la Gendarmerie et le président de la Commission nationale indépendante des Droits de l’Homme (CNIDH) ont tenu une conférence de presse chacun de leur côté ce jour, pratiquement au même moment, pour évoquer ce qui s’est passé à Ikongo. Les premiers éléments des enquêtes respectives confirment ce que le général Andry Rakotondrazaka, commandant de la Gendarmerie nationale, a déclaré quelques heures après la tragédie : « les éléments des forces de l’ordre n’ont eu d’autre choix que de recourir à la légitime défense ».
Tir en l’air
C’est avec des preuves en main, photos et vidéo, mais aussi le recueil de témoignages de 49 personnes auditionnées que le général Serge Gellé, secrétaire d’Etat à la Gendarmerie (SEG), s’est présenté à la presse. Il a retracé le fil des évènements en indiquant que l’adjoint du chef district a mené les pourparlers dans un premier temps mais la foule n’a rien voulu entendre. Les éléments des forces de l’ordre ont ensuite utilisé les bombes lacrymogènes, sept en tout dont cinq tirées depuis des lance-grenades. Ils ont ensuite procédé à des tirs en l’air mais cela n’a pas fait reculer les assaillants qui ont avancé de plus belle. Le président de la CNIDH Seth Andriamarohasina confirme que les assaillants munis de coutelât ont coupé le cordon matérialisant le périmètre de sécurité établi par les forces de l’ordre avant de se ruer vers elles. Comme le SEG, il indique que les tirs en l’air ont ravivé l’ardeur de la foule pensant que personne n’oserait viser les gens. « Les éléments étaient largement dépassés en nombre face à une foule de trois cent individus prêts à en découdre », lance Seth Andriamarohasina. Le général Serge Gellé précise que les sept gendarmes de la brigade avaient bénéficié du soutien de cinq policiers et trois gardes pénitenciers. « C’est d’usage que les éléments des forces de l’ordre se prêtent main forte dans ce genre de cas », souligne le SEG qui ajoute que ces derniers étaient obligés de tirer pour se défendre. Pour preuve, il indique que les neuf personnes décédées sur place se trouvaient à l’intérieur du périmètre de sécurité mis en place par les forces de l’ordre à 35 m de la brigade. « Le corps le plus proche se trouvait à 5 m », dit-il en brandissant une photo d’un cadavre. Â
En résumé, au vu des résultats de l’enquête, le SEG affirme que c’est la caserne et leur vie que les éléments des forces de l’ordre ont protégée avec les moyens à leur disposition. « S’ils sont fautifs par rapport à la procédure à suivre, c’est à la justice de trancher », poursuit-il en soulignant que les instructions venaient du commandant de compagnie qui était sur le chemin d’Ikongo depuis Manakara. Au sujet des critiques sur l’impartialité de l’enquête menée par la Gendarmerie, le SEG d’indiquer qu’il revient à la justice de prendre en compte ou non les résultats. Il lance toutefois que cette enquête interne permet de prendre des mesures martiales. Il est à noter que pour l’heure, seuls les éléments de la Gendarmerie ont été entendus parmi les 49 personnes auditionnées. « L’enquête se poursuit », indique le général Serge Gellé. Pour sa part la CNIDH réclame que le processus soit mené jusqu’au bout. « Si les éléments des forces de l’ordre sont coupables qu’ils soient jugés en conséquence. Si ce n’est pas le cas, cela devrait aussi être communiqué », déclare son président.
Un coutelât à la main
 Seth Andriamarohasina attire par ailleurs l’attention sur la propension à la violence dans la localité. Pour rappel, la foule réclamait les suspects de l’enlèvement d’un enfant albinos et du meurtre de la mère de ce dernier que les gendarmes avaient arrêtés. Parmi les suspects figure le père de l’enfant. Ils sont d’ailleurs portés disparus depuis le drame. « On ne sait pas s’ils sont encore en vie », précise le général Serge Gellé. Ce n’est plus le cas de la femme et la fille d’un d’eux en tout cas. Elles ont été assassinées à coup de coutelât le lendemain de la tragédie. « La vindicte populaire est profondément ancrée au sein de la population », indique Seth Andriamarohasina. La CNIDH a découvert qu’il y en avait eu sept cas avant cette tragédie. « Samedi avant le drame, cinq personnes avaient été charcutées pour une affaire de vol de zébu. Ces personnes ont été assassinées sans aucun procès », lance-t-il. Il explique qu’une pratique appelée « koka » rameute les gens en cas de problème. D’après lui, les habitants sont quelque part obligés d’y participer sous peine de sanction pécuniaire voire d’être considéré comme complice. Si le manque de confiance de la population envers le système judiciaire est avancé pour expliquer cette propension à la vindicte populaire, Seth Andriamarohasina estime que le fait qu’Ikongo soit enclavé y est aussi pour quelque chose. « Ikongo est non seulement enclavé mais les forces de l’ordre y sont en sous-effectif et sont mal équipées. Les gens n’ont plus peur des forces de l’ordre », déclare-t-il. Il réitère qu’on oublie totalement Ikongo à cause de cet enclavement. « Même les projets ne vont pas Ikongo. Le niveau de l’éducation en pâtit. Il suffit d’aller à Ifanadiana où s’arrête la route bitumée pour voir la différence », ajoute-t-il. Le problème d’éducation a également été soulevé par le général Serge Gellé. Il déplore qu’un grand nombre de jeunes figurent parmi les tués durant le drame avec pour certains, un coutelât à la main. « Ne peut-on pas changer cela ? », s’interroge-t-il. Â
Tolotra Andrianalizah