Les années se suivent et se ressemblent sur le front de la lutte contre la déforestation. L’ONG Graine de Vie alerte sur le désastre écologique qui sévit dans le pays et pointe du doigt la mauvaise gouvernance.
Décembre 2021, l’artiste et activiste environnementale Hanitra Rasoanaivo avait publié sur sa page Facebook une vidéo des restes d’une forêt naissante que son association avait plantée. Dans une vidéo de 2 minutes 18 secondes, elle avait laissé libre cours à sa colère et à son dépit. Pratiquement un an plus tard, le président de l’ONG Graine de Vie Frédéric Debouche annonce dans une conférence de presse la réduction de leurs activités de reboisement à Madagascar. Une décision motivée par ce qu’il qualifie de manque volonté réelle de la partie malgache d’inverser la tendance destructive qui consume jusqu’à 200 000 hectares de forêt par an.
Greenwashing étatique
Les mots qu’il a utilisés étaient durs, dénonçant notamment un greenwashing étatique avec une faible implication des dirigeants. Frédéric Debouche a surtout pointé du doigt la mauvaise gouvernance qui prévaut dans le secteur. Pour lui, c’est la cause principale de ce qui se passe actuellement, cristallisé par les feux de brousse qui réduisent à néant les efforts de reboisement entrepris. Il a fait savoir qu’en moyenne, seul un tiers des arbres que l’ONG plante survivent après un an. « Les lois existent mais elles ne sont pas appliquées. L’anarchie environnementale doit cesser », a-t-il déclaré. Un constat que partage le président de l’Alliance Voahary Gasy (AVG) Ndranto Razakamanarina qui a réagi à l’annonce de Frédéric Debouche. « La société civile n’a jamais changé de discours. Nous avons toujours lutté contre la mauvaise gouvernance à Madagascar dans le domaine de l’environnement », indique-t-il avant d’ajouter qu’il comprend la lassitude de Graine de Vie. « Nous nous demandons même pourquoi les autres restent encore, assène-t-il. C’est triste parce que ce sont des investissements qui partent en fumée ».
Graine de Vie a vu le jour en 2009 à Madagascar. L’ONG intervient dans la restauration forestière et s’est imposée au fil des années comme le principal fournisseur d’arbres dans le pays à travers 322 pépinières de proximité réparties dans 21 régions. Graine de Vie c’est surtout 10 000 millions d’arbres replantés chaque année dont 60% à partir de la technique semis-direct qui consiste à planter les graines directement dans le sol au début de la saison de pluie. L’année 2022 particulièrement dévastatrice pour les forêts a porté un coup au moral de l’ONG. Concrètement, elle entend réduire dans un premier temps le nombre de ses pépinières à 200 en choisissant celles qui ont le plus d’impact et celles qui sont situées dans des localités où la protection de l’environnement est plus effective. L’évolution des activités de Graine de Vie dans le pays dépendra ensuite de l’amélioration des engagements des autorités, d’après les explications. « Nous réduirons encore nos projets au profit d’autres pays demandeurs et motivés », peut-on lire dans le communiqué de presse. Il faut savoir qu’entre temps, Graine de Vie s’est développée sur le continent africain. Elle est actuellement présente dans 7 pays.
Prise de conscience
Ndranto Razakamanarina craint que la décision de l’ONG n’entraine une remise en question des autres projets internationaux dans le pays. « L’Etat n’a pas de ressources. Les ONG aident beaucoup dans le secteur. Cela peut avoir un effet boule de neige, ce qui va renforcer la destruction de l’environnement à Madagascar », indique-t-il. Le président de l’AVG de souligner que les fonds alloués à l’environnement n’a jamais dépassé le 1% du budget. « Les ONG sont là pour aider l’Etat dans la réalisation des projets. Ensemble, les autorités et les ONG peuvent faire des choses formidables mais on n’y arrive pas », a expliqué Frédéric Debouche pointant du doigt un manque de cohésion et l’absence d’une stratégie commune.
Quoi qu’il en soit, les activistes environnementaux malgaches saluent l’engouement actuel pour le reboisement à l’image du membre du Club Vintsy Tiana Randrianjatoharimanana. « Nous ressentons sur le terrain une vraie prise de conscience. Les gens sont motivés surtout les villageois », indique-t-il. Ayant répondu à l’appel pour éteindre l’incendie à Ambohitantely l’année dernière, il avoue avoir ressenti de la tristesse mais il affirme ne pas vouloir abandonner. « Je ne perds pas espoir. Il faut toujours s’en tenir à sa vision », lance le jeune militant qui s’est lancé dans l’activisme en 2017. « Nous n’avons pas le droit de baisser les bras parce que c’est notre terre. Nous ne pouvons aller nulle part, déclare de son côté Ndranto Razakamanarina. C’est encourageant de voir la mobilisation du gouvernement dans le reboisement. Des efforts sont fournis mais cela ne suffit pas encore à inverser la tendance actuelle. Il y a quelque chose qui manque pour que cela évolue positivement. C’est là qu’entre l’aspect gouvernance ».
Tolotra Andrianalizah