Le Professeur Henry Jonah Ratsimbazafy n’est plus à présenter dans le domaine de la conservation de la faune et la flore malgache notamment des lémuriens à qui il voue une passion sans borne. Aboutissement d’une carrière dédiée à la protection de ces primates endémiques à Madagascar, la 25ème espèce de microcèbe (regroupant les petites espèces de lémuriens) porte son nom : Microcebus jonahi. Il nous partage à travers cette interview ce qui l’a poussé à suivre cette voie.
Studio Sifaka : Que signifie pour vous le fait qu’un lémurien porte désormais votre nom ?
Henry Jonah Ratsimbazafy : J’ai dédié ma vie à la protection des lémuriens. C’est mon combat. Je n’ai jamais reçu de titre honorifique donc c’est un honneur que m’ont fait les chercheurs dans le monde entier. Je peux dire que c’est une consécration, une reconnaissance de tout le travail accompli sur le terrain.
SS : Pouvez-vous expliquer comment on décerne le nom à une nouvelle espèce ?
HJR : Que ce soit pour un végétal ou un animal, on peut lui donner le nom d’une personne ou d’un lieu. C’est pour cela qu’on entend souvent madagascariensis pour les espèces endémiques de notre île. Ce sont les chercheurs à l’international qui baptisent les découvertes. Cela suit des règles bien précises. Les propositions de nom doivent être expliquées et soutenues auprès d’un comité. Sinon, les noms doivent avoir une sonorité latine. C’est ce qui explique le « jonahi ».  Â
SSÂ : Microcebus jonahi, la petite histoire.
HJR : C’est le fruit de 11 ans de recherches. On avait des pistes sur une nouvelle espèce différente du Microcebus macarthuri. C’est à partir de là que nous avons commencé à chercher des échantillons pour confirmer au niveau de l’ADN. Quelques spécimens ne suffisent pas. Il en faut au minimum une dizaine. Nos recherches ont commencé au nord de Toamasina puis on est monté encore plus au nord, à Mananara.
SS : Combien d’espèces de microcèbes Madagascar compte-t-il actuellement ?
HJR : Nous sommes partis de 2 espèces il y a encore quelques années à 25 actuellement. Johani est la troisième espèce découverte par l’équipe du Groupe d'étude et de recherche sur les primates (GERP). Il y a eu le Microcebus macarthuri en honneur de la Fondation MacArthur le partenaire financier du GERP, le Microcebus gerpi et donc le Microcebus johani.   Â
SS : Comment vous-est venue cette passion pour les lémuriens ?
HJR : Avant de me plonger dans la primatologie, mon background était la paléontologie. Mais lors d’une descente sur le terrain, la vue de la destruction de la forêt et des lémuriens piégés m’a fait changer d’avis. Je me suis dit que les fossiles peuvent attendre et qu’il faut protéger ceux qui sont encore en vie.
SS : Que signifient les lémuriens pour vous ?
HJR : Les lémuriens pour moi, c’est plus que des sujets d’étude. C’est plus que des animaux adorables. Pour moi c’est une thérapie. Les autres ont la musicothérapie ou encore la lithothérapie, moi j’ai la varikothérapie (varika, le nom malgache des lémuriens). Par ailleurs, je veux être l’avocat des lémuriens. Il ne faut pas oublier que beaucoup de Malgaches vivent grâce aux lémuriens. Regardez Andasibe. Grâce au Babakoto (Indri indri), le parc attire beaucoup de touristes. On rencontre aujourd’hui des lémuriens dans les zoos à l’étranger mais les touristes veulent voir les animaux dans leur habitat naturel.
SS : La tendance va actuellement vers la destruction de l’environnement. L’espoir est-il encore permis ?
HJR : C’est désolant de voir la destruction de l’environnement à Madagascar. C’est vrai. Mais il est encore possible d’inverser cette tendance. On peut se servir de ce genre de découverte. Cela signifie que les forêts malgaches renferment encore des trésors. Cela devrait provoquer une grande joie chez les Malgaches mais aussi une prise de conscience. Nous, Malgaches, avons la responsabilité de protéger ces espèces. Nous devons développer un sentiment d’appartenance par rapport à ces richesses. Cela passe par l’éducation. Sinon, nous avons des lois qu’il faut appliquer. J’aimerais voir, de mon vivant, que les lémuriens ne soient plus menacés.