Interview avec Francesca Raoelison
Avec les mesures de confinement et l’impossibilité de sortir de chez soi, la plupart des gens et surtout des jeunes sont quasi connectés sur internet tous les jours. Une situation qui a fortement redonné vie au cyberharcèlement, actuellement à la hausse. Fondatrice de l’organisation OMENA, qui lutte contre toute forme de maltraitance verbale et harcèlement envers les jeunes, Francesca Raoelison partage son point de vue sur la question.
Studio Sifaka : Le cyberharcèlement, c’est quoi exactement ?
Francesca Raoelison : Si le harcèlement existe depuis toujours, le cyberharcèlement connaît, quant à lui, une recrudescence avec l’arrivée des réseaux sociaux. Il s‘agit d’une forme de harcèlement, mais en ligne sur Facebook, twitter, Instagram, YouTube, snaptchat, tik tok…
Le cyberharcèlement revêt plusieurs formes : insultes, moqueries récurrentes, fake news, piratage de compte et usurpation d’identité numérique… Aujourd’hui, c’est même passé à l’utilisation de photos ou de vidéos authentiques ou modifiées d’une personne dans le but de la discréditer ou de l’humilier.
Hausse du cyberharcèlement avec le confinement, quelles en sont les raisons ?
Depuis le début du confinement, le fait de rester à la maison est devenu obligatoire pour des raisons sanitaires. La liberté de se balader sur les réseaux sociaux est quelque part à l’origine de la hausse du cyberharcèlement. Tout le monde peut déjà avoir été victime de cette forme de harcèlement, surtout en cette période de crise où le stress est à son paroxysme. La technologie favorise aussi le cyberharcèlement, donnant à chacun l’illusion d’être protégé par l’écran. Selon les chiffres de l’UNICEF, l’année dernière 1 jeune sur 3 était victime de cyberharcèlement. Généralement, les jeunes sont les plus en proie à cette forme d’agression, notamment les jeunes filles et les jeunes femmes, sans oublier les communautés, par exemple, les LGBTQ.
Quelles conséquences sur la personne qui se fait harceler en ligne ?
Les conséquences sont les mêmes que pour le harcèlement classique. Cela porte atteinte à notre estime de soi, notre identité, notre dignité et notre santé mentale. Ce qui peut fortement entraver le développement personnel de la victime, mais également sur ses capacités à affronter les simples problèmes du quotidien. Une personne victime de harcèlement aura tendance à s’isoler, ce qui l’empêchera d’atteindre son plein potentiel et surtout de jouir du bien-être. De ce fait, la victime n’osera plus prendre des risques, s’affirmer, sortir du lot par peur des critiques. Aujourd’hui, les chiffres sont alarmants, car selon l’UNICEF 80 % des personnes à Madagascar ont déjà vécu un abus psychologique et verbal. Donc, si un tel fléau est perpétué sur les réseaux sociaux, les impacts seront énormes tant sur chaque individu que sur le pays tout entier. C’est quelque chose qu’il faut garder en tête, et qu’il faut surtout changer.
Quelles sont les solutions pour changer cette situation ?
Notre approche, c’est d’aller dans les écoles et de sensibiliser sur l’intelligence socio-émotionnelle, et d’enseigner aux jeunes comment s’exprimer de façon plus saine. Miser sur cela est important pour réellement changer la situation, mais surtout il faut agir sur le cycle de l’abus notamment et sensibiliser pour faire comprendre que l’abus n’est pas un acte naturel et normal. Il appartient surtout à la nouvelle génération de montrer l’exemple et de briser ce cycle de l’abus. Mais quelque part, une remise en question est nécessaire et chacun doit se demander pourquoi est-ce que j’ai ce besoin de critiquer ou d’être méchant. Les recherches montrent que c’est, en partie, à cause d’un manque d’estime de soi ou d’un manque d’empathie. Mais l’empathie, ça s’apprend. Et quand on a cette empathie, on sait que derrière l’écran, il y a une autre personne. Les groupes de soutiens psychologiques peuvent être d’un grand soutien moral pour ces jeunes qui ont déjà été victimes d’abus afin de les aider à s’en sortir.Â