Mbolatiana Raoilison alias Clipse Teean n’est plus à présenter dans le secteur de l’art urbain à Madagascar et même au-delà . Artiste graffiti, elle évolue dans un univers assez masculin. Faisant face à plusieurs préjugés, elle a su avancer à coup de passion et surtout de professionnalisme.
Studio Sifaka : Quel métier exercez-vous concrètement ?
Clipse Teean : Je fais des graffitis, de la décoration d’intérieur et de l’art plastique en général. J’ai commencé en 2000 mais j’ai arrêté entre temps pour poursuivre mes études. J’ai commencé avec le dessin, un peu comme tout le monde, puis je me suis concentrée sur les graffitis et j’ai acquis des compétences de soudure, de sculpture et de couture. J’ai intégré tout cela dans le lettrage pour faire du « bemiray », le terme malgache pour désigner le patchwork.
Comment la création vous a-t-elle conquise ?
Depuis que j’étais petite, j’aimais déjà créer. J’ai grandi avec un grand père qui aimait aussi créer. C’est peut-être cela qui m’a influencée dans la créativité. Je le regardais faire. Les études que j’ai suivies ont quelque chose à avoir avec ce que je fais maintenant même si c’est de l’art de rue. J’ai suivi des études supérieures en géographie, en option urbanisme. On nous apprenait à faire des plans et des courbes. C’est pour cela que, dans mes graffitis, il y a beaucoup de précision. En somme, je suis à la fois urbaniste mais je me suis concentrée sur l’art. J’aime cela. Par contre, je pourrais toujours reprendre l’autre métier.
C’est quoi la différence entre tag et graffiti ?
Le tag, c’est plus une signature. Le graffiti a plus d’esthétique, c'est plus travaillé.
Il y a un petit côté vandale. En tant qu’urbaniste, cela ne vous gêne pas un peu ?
(Rires) Je ne dirais pas vandale, mais plus art de rue. Il y a des endroits où on peut mettre des graffitis et d’autres non. Il faut toujours respecter les règles de la société et je me respecte aussi car en faisant du vandalisme, je nuirais à mon image et à celles de mes confrères artistes. Et même si parfois, il y a un petit côté vandale, nous essayons d’envoyer des messages positifs à travers nos fresques.
Une femme artiste graffiti. Comment le vivez-vous ?
Il m’arrive souvent de recevoir des remarques du genre « ce n’est pas digne d’une fille », « qu’est-ce que tu fais perchée là -haut ? », lorsque je suis en pleine concrétisation d’une œuvre. Pour moi, il n’y a pas de place pour le sexisme dans ce métier. Homme ou de femme, si tu aimes ton métier, fais-le ! La société a aussi un côté macho. Nous sommes dans une société patriarcale et lorsqu’une femme fait quelque chose d’inhabituel et réussit, on arrive difficilement à le croire. Il m’est arrivé qu’un client m’envoie un mail pour débuter la collaboration et lorsqu’on se rencontre, il m’a sorti « c’est vraiment toi qui fais ça ? »
Comment s’est faite votre ascension ?
Personnellement, si j’ai fait cela ce n’était pas pour la gloire ou quelque chose de similaire à ça. C’est pour le kif avant tout. J’aime l’art et je le fais. Si tu aimes ce que tu fais, les gens te respectent. Dans l’art, il y a souvent un sacrifice à faire. Ce n’est pas que pour l’argent. Il y a aussi beaucoup d’échanges. Par exemple, il y a des gens qui me demandent de faire quelque chose, j’ai juste besoin que mon nom soit inscrit. On essaie de se rendre service dans le milieu.
Est-ce votre seule source de revenu ?
Il y a un côté entrepreneurial. Je fais beaucoup de design d’intérieur et il y a quelqu’un qui travaille avec moi. Je me suis professionnalisée au fil des années surtout depuis 5 ans. C’est lors d’une exposition baptisée Trano Bongo que j’ai créé du mobilier. Je fais maintenant de la menuiserie-design, de la customisation. Je crée également des vêtements et des accessoires comme des sacs à main. Je travaille d’ailleurs avec ma sœur pour cela.
Votre travail vous permet-il de bien gagner votre vie ?
(Rires) Si tu respectes ton travail, les gens le voient. Les gens te font confiance. On t’appelle souvent.
Femme, musulmane et artiste graffiti. C’est donc possible ?
Les gens qui ne connaissent pas pensent que la femme musulmane ne peut rien faire de sa vie, qu’elle est cloitrée. En fait c’est faux. La femme musulmane peut travailler. Pour moi, ce n’est pas du tout un obstacle.
Le secteur de l’art à Madagascar ?
L’art peut créer des emplois. Il ne faut pas sous-estimer les artistes et penser que ce sont des ignares ou des gens peu recommandables. Les artistes ont des responsabilités comme tous les citoyens. Le problème à Madagascar, c’est que peu de gens ont accès à l’art. Il faut apprendre l’art pour que ce soit plus professionnel. Malheureusement, il n’y a pas d’école d’art ici à ce que je sache. Â
Tolotra Andrianalizah