Véritable caillou dans la chaussure pour certaines personnalités, Ketakandriana Rafitoson, Ke pour les intimes, fait partie de ces gens qui osent s’exprimer. Directrice exécutive de Transparency International – Initiative Madagascar depuis deux ans, elle partage dans cette interview ce besoin chez elle de se dresser contre les injustices et toute l’abnégation qu’il faut pour faire avancer une cause.
Studio Sifaka : Comment vous-est venu l’activisme ?
Ketakandriana Rafitoson : C’est quelque chose qui m’est venue à l’adolescence quand j’ai lu Du contrat social de Jean Jacques Rousseau. C’est toujours l’ouvrage qui m’a le plus inspiré. Mais c’est peut-être aussi en regardant mes parents qui étaient aussi engagés et en me rendant compte des injustices dans notre société. Il y avait ce désir de faire quelque chose. plus jeune, j’ai contribué par exemple à créer un magazine au Collège St Michel, un magazine qui existe toujours et qui traite des faits de société. Après, on avait continué à l’université catholique qui existe toujours aussi. Il y a ce besoin de dire les choses, de faire réagir les gens, de critiquer, d’analyser de façon constructive, évidemment.
Cela vous a attiré les foudres de pas mal de gens dont récemment un élu. Comment vivez-vous cela ?
(Sourire). Je ne vais pas dire que j’ai l’habitude ou que c’est agréable de se faire insulter pour ses convictions mais cela fait partie du jeu, des risques qu’il faut encourir. Si c’est le prix à payer de se faire traiter de tous les noms, et pour que les gens se rendent compte que ce qu’on dit a de la valeur, c’est comme ça. Comme on dit, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs. Si l’œuf doit être moi, c’est comme ça.
Il existe des risques donc …
Mais si plus de personnes s’exprimaient, s’il y avait plus d’activistes, si les citoyens s’engageaient dans des causes, les risques seraient amoindris. Au lieu de 10 ou 20 personnes qui s’engagent, si on n’était des milliers, c’est autre chose. On est quand même 27 millions de Malgaches. C’est ça l’activisme en fait. Ce n’est pas un grand mot. Il suffit juste de s’activer, de faire quelque chose pour le bien commun. Donc si on le voulait bien, cela contribuerait à protéger les lanceurs d’alerte et les activistes et donc d’amoindrir les risques.
Parlons de la corruption. Pensez-vous que vos appels trouvent écho dans une société où l’imaginaire collectif semble s’être accommodé au fil des années à cette pratique ?
On nous dit souvent « votre travail est inutile, vous perdez votre temps » ou « vous n’arrivez jamais à lutter contre la corruption parce que cela fait partie de notre vie ». C’est ce que les citoyens pensent et tant qu’on réfléchit comme cela, ce sera impossible. Mais si on veut bien considérer toutes les pertes économiques et autres causées par la corruption, si on veut bien voir le poids de la corruption sur notre quotidien, et si on se décide à refuser la corruption, je dis qu’on avancerait très vite.
L’espoir est-il toujours permis ?
L’espoir, il en faut sinon c’est le suicide (Rires). On est encore là , on veut continuer. Personnellement, je pense que cela va évoluer si on concrétise vraiment la volonté politique qui est affichée. Parce qu’entre dire des choses et les faire, il y a un gouffre. Si nos dirigeants prenaient vraiment la peine de réaliser ce qu’ils ont promis en matière de lutte contre la corruption, d’intégrité, de redevabilité, ce serait déjà un grand pas en avant. Après, il y a aussi nous citoyen qui n’osons pas, ne voulons pas dire non à la corruption. Cela fait partie de nos habitudes.
La lassitude ne vous gagne-t-elle pas à certains moments ?
Si. Je ne suis qu’un être humain. Il y a des hauts et des bas. Il y a des jours où je me dis que ça n’en vaut vraiment pas la peine ou que je vais partir d’ici. J’envisage ça surtout lorsque je pense à mes enfants. Quel avenir à Madagascar ? Et après, ce sont ces questions-là qui me reboostent à . Je me dis, notre vie est ici. Je me dois de contribuer à un meilleur Madagascar pour mes enfants mais aussi pour ceux des autres. C’est ce qui fait tenir.Â
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah