La diversité est une richesse dit-on. A Madagascar, cette diversité a surtout servi à assouvir les ambitions personnelles de quelques-uns. Le politologue Juvence Ramasy, maître de conférences à l’Université de Toamasina, donne son avis sur l’équilibre régional ou provincial soulevé dernièrement par un élu.Â
Studio Sifaka : L’équilibre régional est une règle tacitement admise par les dirigeants dans la nomination de hauts responsables. Votre avis ?
Juvence Ramasy : Nous sommes face à une ethnicisation de la politique où l'ethnie, dans le sens des identités culturelles, passe de la sphère privée au domaine public. L'ethnie est utilisée comme un moyen d'accéder au pouvoir. Cela pose la question du lien entre représentation nationale et équilibre régional donc de celui de la Nation.
Finalement, cela ne remet-il pas en question la Nation justement ?
Une Nation est un groupement humain dont les membres ont entre eux des affinités tenant à des éléments communs à la fois objectifs (origine ethnique, langue, religion, mode de vie …) et subjectifs (histoire commune, sentiment de parenté spirituelle, désir de vivre ensemble …) qui les unissent et les distinguent des autres groupements nationaux. L’intensité de ces liens de solidarité nationale a conduit à la formation de l’État-nation, une forme d’État dont la pratique montre qu’il assure seul une continuité véritable.
Peut-on dire à l’heure actuelle que Madagascar est une Nation ?
Je dirais une Nation en construction. On en peut pas nier les identités culturelles, l'existence des ethnies d'autant plus qu'il y en a plus de 18 à Madagascar. Or, il est des pays où il y a plusieurs ethnies qui sont des sociétés plurales ou plurielles, et certains parlent d'Etat multinational. Dans, ce cas la Nation doit transcender les ethnies, ce qui veut dire que les membres de ces groupes doivent se voir comme des nationaux, des membres de la Nation.
Cette ethnicisation est-elle donc utilisée à des fins personnelles ?
Oui et politique surtout car il y a l'ethnicité morale, celle qui fait référence à la culture d'un groupe et l'ethnicité politisée que des élites vont user comme moyen pour accéder au pouvoir. Mais bien-sûr la question de la justice sociale se pose.
Est-ce que ce discours passe au niveau de la population, le fait de dire « fils de telle ou telle région » ?
Bien-sûr. D'où aussi les associations crées par des originaires d’une région. Mais la population ne voit pas pour le moment les retombées d'une telle nomination.
La justice sociale pourrait-elle donc être la solution de la construction d'une nation ? Une justice sociale plus décentralisée …
Oui mais il faudrait que la résolution des problèmes de justice sociale soit au-dessus des identités culturelles et que se mette en place un travail d’éducation à l'échelle nationale, un imaginaire national où les individus se pensent davantage comme citoyens égaux que comme membres d’une ethnie. Il faut en gros un processus de construction nationale, créer un sentiment national.
Les Barea ont porté un temps ce sentiment national ...
Oui, un sentiment d'appartenance au même groupe. Mais il y a aussi un besoin de reconnaissance, de prise en compte de la diversité.
Les partisans de l'équilibre régional n’avancent-ils pas la reconnaissance ?
Oui, bien sûr. Mais comme je le disais, les retombées pour la population de ces régions ne sont pas là . Ces identités peuvent être manipulées. Le temps devra faire son œuvre afin que les élites pensent d'une manière nationale.
Dernière question. Peut-on envisager qu'une personne non originaire d'une région puisse être élue dans celle-ci notamment pour des communales ?
Pour cela, il faut dépasser les a priori ethniques. Les présidents successifs ont séduit des régions d'où ils ne sont pas originaires. Les choix politiques ne sont pas guidés principalement par l'ethnie.
Mais la plupart des politiques jouent cette carte « ethnie » …
Certes mais cela ne marchera pas tout le temps.
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah