Madagascar a perdu 1,3 millions d’hectares de forêts entre 2002 et 2019, selon le WWF. Pour pallier cela, l’Etat malgache s’est alors fixé comme objectif 2020 de planter 60 millions d’arbres pour retrouver l’île verte. Mais saviez-vous qu’à part les humains, le lémurien, ayant pour nom « Varecia variegata », est aussi un très bon planteur d’arbres ? Le primatologue, Tovonanahary Rasolofoharivelo, nous en dit plus sur cette créature aux doigts de fée.
Studio Sifaka : Pouvez-vous nous faire une brève description du Varecia Variegata ?
Tovonanahary Rasolofoharivelo : « Varecia variegata, c'est le nom latin du lémurien quadrupède arboricole, à pelage noir et blanc, d'où son nom français : « vari noir et blanc ». Il a une tête noire avec un museau de chien et une crinière en collerette blanche. Il s'agit d'un primate de type "prosimian". C’est un lémurien assez grand avec un corps de 50 à 60cm de long et une queue de la même taille pour servir de balancier, lors des sauts dans les arbres. Il pèse entre 3 et 4,5kg. C'est un animal très social mais aussi très sensible. Il émet des vocalises plus puissantes que les aboiements, au moindre stress. Même les petits bruits peuvent le perturber au point de quitter à long terme son domaine vital.»
SS : Où est ce qu'on en trouve à Madagascar ?
T.R : « Ce sont des animaux endémiques des forêts denses humides de l'Est de Madagascar. Mais, ils sont différenciés en sous- espèces par trois localisations géographiques. Les populations du Nord, allant de Mananara-Nord, Nosy Mangabe et Makira sont appelées varis à ceinture blanche, sous le nom scientifique « Varecia variegata subcincta », localement appelés « varikosy ». Celles des forêts de basse altitude, allant de Marotandrano, Ambatovaky, Zahamena et Betampona, sont appelées « Varecia variegata variegata », localement appelés « varikandana ». Et les populations du Sud, depuis Andasibe-Mantadia, passant par Ranomafana jusqu'à Manombo, sont appelées « Varecia variegata editorum », littéralement « provenant des montagnes », localement appelés « varijatsy ».
SS : Comment est-ce qu'ils contribuent à la reforestation d'une forêt ?
De par leur régime alimentaire, ce sont des grands frugivores. 75% à 80% de leurs nourritures sont composés de fruits. Les recherches ont prouvé que pour certains arbres, le passage des graines dans l'estomac des lémuriens favorise leur germination. D'autant plus, quand les graines non mastiquées sont rejetées dans les excréments. C’est ce qui permet des plantations naturelles avec de l'engrais biologique. Pour les plantes à nectar comme le ravinala, le Varecia devient l'agent pollinisateur en transportant le pollen de fleurs en fleurs avec ses poils. Cest la raison pour laquelle ils sont considérés comme animaux très favorables à la reproduction des arbres.
SS : Qu'est-ce qui menace cette espèce ?
« Comme c'est une espèce arboricole, la plus grande menace pour son existence est la disparition de la forêt, son habitat naturel. Le varecia est très sensible à la qualité de la forêt. Pourtant, les Hommes détruisent la forêt surtout pour la culture sur brûlis et coupent du bois pour diverses utilisations. A part cela, la chasse et le braconnage constituent l'autre cause de la disparition du Varecia. Dans la brousse, la viande de lémurien constitue une source de protéine tandis que pour certains hôteliers, c'est un mets de luxe. »
Qu'adviendrait-il si le Varecia Variegata venait à disparaître de nos forêts ?
« Selon les statistiques de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature, la population mondiale des Varecia a perdu 80% de son effectif au cours des deux dernières décennies. Si cela continue, non seulement on aura fait disparaître l'une des espèces qui plantent le plus d'arbres à Madagascar, mais on aura aussi perdu une espèce phare qui joue un rôle très important dans les fonctions écologiques de notre écosystème forestier. Effectivement, si une espèce aussi grande venait à périr, les autres espèces plus petites seront aussi victimes. » Â
Comment les protéger ?
« Il faut agir sur plusieurs aspects. Le plus important consiste à l'éducation pour tout un chacun et à tous les niveaux. Il faut faire connaître à tous et conscientiser tout le monde sur la valeur des lémuriens et leurs rôles dans le maintien de la vie sur terre. Puis, les mesures de protection sont à appliquer pour cette espèce ainsi que son habitat naturel. La gouvernance des ressources naturelles doit impliquer tout le monde.»
D'après vous, serait-ce possible d'inclure les Varecia Variegata dans les stratégies de reboisement menées par l'Etat ?
« Alors, c'est tout à fait logique et raisonnable de faire des Varecia variegata de vrais porte-fanions de la stratégie de reboisement à Madagascar. On vient de le dire : les Varecia sont de bons planteurs d'arbres et les arbres permettent aux Varecia de subsister comme patrimoine naturel de notre pays. Les Hommes,en devenant de bons planteurs d'arbres, pourront non seulement aider les lémuriens à survivre, mais aussi subvenir à leurs besoins futurs en ressources naturelles, protégeant leur propre environnement, et prévoyant leur propre survie. »
Propos recueillis par Princia Randrianarivony