Fela Razafiarison n’est plus à présenter dans l’univers du théâtre contemporain. Figure de la compagnie Miangaly avec l’illustre Christiane Ramanantsoa, ce petit bout de femme pleine de vie, au sourire communicatif, partage à travers cette interview sa passion pour cet art qui la fait vibrer depuis plus de deux décennies.
Studio Sifaka : Depuis quand faites-vous du théâtre ?
Fela Razafiarison : Houlà  ! ça remonte à mon enfance. Je fais du théâtre depuis que j’ai 11 ans. Cela fait 26 ans.
Comment avez-vous découvert cet art ?
Par hasard. Il y avait un club de théâtre à l’Alliance Française d’Antsirabe mais uniquement composé d’adultes. Une fois, ils se sont posé la question « si on faisait faire du théâtre aux plus petits ? »Comme il y avait surtout des professeurs de français, chaque adulte a approché des enfants de sa classe pour leur demander s’ils voulaient faire du théâtre. Je cherchais une activité à faire après l’école alors j’ai accepté. J’ai eu la chance, dès le départ, de tomber sur des passionnés de théâtre. Il y avait même quelqu’un qui avait suivi une formation théâtrale. A l’époque, il y avait encore le festival de théâtre de Fianarantsoa qui regroupait les groupes de théâtre d’école mais qui programmait aussi des professionnels.
Et la compagnie Miangaly ?
En 2000, il y a eu un projet de l’Alliance de jouer un texte de Soni Labou Tansi, un grand auteur africain. Il s’agit d’une version africaine de Roméo et Juliette. J’ai eu la chance de faire partie du casting. Le spectacle a été co-mis en scène avec Christiane Ramanantsoa. Une fois que je suis arrivé à Antananarivo pour mes études, très naturellement j’ai cherché à continuer le théâtre. Du coup, je suis allée vers la Cie Miangaly en 2001. Cela fait 20 ans. C’est comme ça que je suis entrée un peu plus dans le théâtre. Si au départ c’était juste une activité extra-scolaire, petit-à -petit ça a pris plus de place dans ma vie.
Vous avez grandi dans cette compagnie. Quel rôle tenez-vous actuellement ?
J’y suis d’abord comédienne. Je mets en scène, je suis formatrice. Mais je fais également de l’administration à partir du moment où on a décidé de faire du théâtre notre métier. Il a fallu rendre tout cela légal et c’est là où ma formation d’économiste a pris le relais. Je gère la compagnie dans sa partie administrative, je réfléchis aux stratégies, … parce que je suis économiste de formation et théâtre de cœur et de métier. Je seconde aussi Christiane sur beaucoup de choses.
Studio Sifaka : Qui est Christiane Ramanantsoa pour vous ?
Fela Razafiarison : J’avais fait du théâtre avant la compagnie Miangaly, mais Christiane c’est celle qui a confirmé mon envie de faire du théâtre. C’est celle qui m’a beaucoup formée parce que, dans notre groupe, c’est le temps qui est le plus long dans ma carrière de comédienne donc c’est la personne qui m’a forgée. Il faut dire que ma formation est très éclectique parce que déjà , il n’y a pas d’école à Madagascar et ta formation, tu la fais suivant les rencontres et les projets. Avant Christiane, j’avais déjà eu 3 metteurs en scène. En 2003, j’ai eu la chance de faire un stage de théâtre à la Réunion au centre dramatique de l’océan Indien de la Réunion. J’y ai rencontré 3 metteurs en scène avec qui j’ai travaillé à peu près pendant six ans, les uns après les autres. Après j’ai eu d’autres metteurs en scène en France, à Mayotte. C’est tout ça qui a fait ma formation de comédienne.
Pouvez-vous nous raconter votre premier spectacle en quelques mots ?
C’était un samedi du mois de juin à Antsirabe. J’avais donc 11 ans. Nous avons joué une adaptation du Petit Prince de Saint Exupéry. J’ai joué le Petit Prince. Je ne comprenais pas l’envergure de ce qu’était le Petit Prince. Je ne connaissais même pas Saint Exupéry. Il faisait froid et moi, dans mon costume je tremblais, mais pas que de froid. J’avais hyper peur. Il y avait un public, c’était un vrai spectacle. Le début, on était sur scène avec le rideau fermé. J’étais dans les bras d’une femme, je ne me souviens plus de son personnage vu que c’était une adaptation. Le rideau s’ouvrant, j’avais mon cœur qui faisait boom boom boom. Je tremblais, mais dès les premiers mots, c’était parti. Je me rappelle encore de la chanson que j’avais chantée.
Pouvez-vous dire dans combien de pièces vous avez joué depuis ?
De mémoire, tout de suite … non. Il y en a beaucoup. Il y a des pièces qui ont juste été jouées une fois. On répète pendant deux mois mais on ne joue les qu’une fois. Par contre, ce que je peux dire c’est qu’il y a une pièce que j’ai jouée 32 fois. C’est le maximum.
Qu’est-ce que le théâtre vous apporte dans votre vie quotidienne ?
Que du bonheur. Ce que j’aime dans le théâtre, c’est le partage. Il y a cette interaction permanente avec les gens. J’adore ça. Les répétitions, ce sont les moments où tu crées, tu cherches, tu construis, tu t’appuies sur les amis, les gens et les metteurs en scène qui bossent avec toi. Et puis, il y a le spectacle où tu partages avec le public. Tout ce que j’aime se trouve dans le théâtre. Il y a aussi les émotions. Tu vis plein d’émotions autour du spectacle en tant que comédienne. Parfois t’es frustrée parce que tu n’arrives pas à trouver le bon bout et la joie qui vient après lorsque tu es satisfait. Pour moi le théâtre, c’est la vie.
Quel était le déclic qui a fait que vous vous êtes dit que vous feriez du théâtre votre métier ?
Je voulais être statisticienne économiste au départ. Quand j’étais à l’université durant mes deux premières années, j’étais sûre que j’allais devenir statisticienne économiste. Fin deuxième année, je pensais devenir démographe. Mais le premier déclic d’abord c’était le stage à La Réunion. Première sortie de Madagascar. C’est la première fois que je rencontrais des comédiens professionnels. C’est-à -dire dans mon imaginaire, des gens qui sortent de la maison le matin à 9 h pour faire du théâtre. Là je me suis dit que c’est donc possible, que c’est un métier. Le stage a duré un mois et pour la première , je ne faisais que ça pendant un mois. J’étais en troisième année à Ankatso. C’est comme ça que ça a commencé. C’était d’abord une possibilité.
Vous n’avez pas encore travaillé en dehors du théâtre …
J’ai fait un stage en entreprise de quatre mois en Allemagne dans mon cursus d’économiste. Quand je suis sortie de là , je me suis dit « plus jamais ». Plus jamais je ne travaillerai dans un bureau ou dans une entreprise et du coup je ne l’ai plus fait. Parce que je ne ressentais pas toutes ces choses qui me font vibrer. L’interaction avec les gens en permanence, l’effervescence de la création, tout ça je ne le ressentais pas. Dans l’entreprise, c’est chacun ses objectifs. C’est vrai qu’il y a un travail d’équipe mais ce n’est pas la même chose.
Comment vos parents ont-ils réagi ?
C’était compliqué. Mon père était celui qui a plus vite accepté parce que lui aussi, il a une passion. Le foot. Ma maman par contre, c’est quelqu’un qui est plus classique dans son éducation, donc un métier, c’est au mieux un travail fixe qui assure un salaire tous les mois. Du coup, ce n’était pas évident. Mais à un moment ils se sont forcément dit que c’est ce qui me convenait et ils ont accepté.
Concrètement, que faites-vous en tant que professionnel du théâtre ?
Dans ma carte de visite, il est écrit comédienne - metteur en scène - formatrice de théâtre. Au quotidien, quand je sors de chez moi, je vais former les gens, faire en sorte que le théâtre apporte quelque chose dans ce qu’ils font. Je m’occupe par exemple de gens travaillant dans une entreprise qui ont envie de mieux parler ou qui ont envie de mieux se sentir dans leur corps. Je fais aussi des ateliers pour des enfants parce que c’est important qu’ils aient accès à l’éducation artistique. Je sors aussi pour faire des répétitions pour des spectacles. Sinon, il y a le côté administratrice de Miangaly.
Est-ce que les jeunes sont intéressés par l’art du théâtre actuellement ?
Je pense que les artistes se relaient vraiment de plus en plus pour faire en sorte que l’art soit plus accessible et surtout plus visible par les jeunes. Les artistes créent de plus en plus de projets. Il faut savoir que les jeunes ne s’intéressent qu’à ce qu’ils voient. Le « Rallye moi (s) théâtre », c’est vraiment ça. C’est rendre le théâtre visible. Je peux dire que les jeunes s’y intéressent de plus en plus parce que c’est plus accessible, aussi parce que les artistes font un grand travail sur ça. Maintenant, en tant que théâtreuse, je me dis que ce n’est pas encore assez. Je pense qu’on ne s’en satisfera jamais. On aimerait vraiment que chaque jeune qu’on rencontre dans rue ait vu au moins un scène de théâtre. Ce qui n’est pas encore le cas. Ce n’est pas facile mais notre vision dans la compagnie Miangaly, c’est que l’art et la culture sont la base du développement humain économique et social. Le pays peut s’épanouir si l’art a sa place.
Où en sommes-nous à Madagascar  ?
On y travaille (rires).
Comment voyez-vous le théâtre à Madagascar dans le futur, compte tenu de la dynamique actuelle ?
Dans notre compagnie par exemple, tu vois Vony. Elle commence depuis deux-trois ans à faire des spectacles en porteur de projet avec un foisonnement d’artistes. Gad, c’est pareil. Petit à petit, si au départ on n’était qu’une compagnie de théâtre, maintenant, on est déjà trois-quatre. Ce qu’on fait à travers nos ateliers, c’est partager et transmettre pour que les gens disséminent le théâtre à leur tour.Â
Et vous ? Comment vous voyez-vous ?
J’aimerais avoir mon lieu. Un lieu où il est écrit « compagnie Miangaly ». Le Bénin m’a beaucoup inspiré. Dans chaque quartier, il y a un centre culturel et un théâtre et là tu te dis wouaouh ! C’est la vision à long terme. Maintenant c’est très positif de voir les projets ministériels. Ils ont des projets de mettre en place plus de lieux de diffusion, de lieux de spectacles. C’est positif mais chacun doit jouer son rôle. Â
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah