Il s’appelle Max Fontaine. Il a 25 ans. Il représentera Madagascar au Youth 4 Climate, qui se déroulera à Milan. Cet évènement réunit des jeunes champions du climat, venant des 197 pays membres de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques, en vue de la préparation à la COP26 à Glasgow. Il a fondé Bôndy, une entreprise sociale spécialisée dans le reboisement qui a la côte actuellement auprès des entreprises. Entretien avec un jeune bluffant de réalisme et surtout de maturité.
En quoi consiste le Youth 4 Climate en quelques lignes ?
Max Fontaine : A Milan du 28 au 30 septembre, il y aura le sommet Youth 4 Climate. C’est un sommet de préparation pour la COP26 à Glasgow en novembre. Il y aura un ou deux jeunes de chaque pays dans le monde, qui vont représenter les jeunes de leur pays pour orienter les débats qui vont avoir lieu à la COP. L’idée est d’avoir des propositions concrètes car c’est à la COP que ça se vote. C’est là où les présidents viennent et signent les engagements de leur pays. Les jeunes vont se réunir pour mettre des guidelines sur les discussions des gouvernements et des présidents. Ça va être des discussions et des débats entre jeunes pendant deux jours. Le dernier jour, il y aura des ministres du monde entier à qui on remettra toutes ces instructions.
Vous allez donc représenter la jeunesse malgache. Comment allez-vous faire pour vous assurer d’être le porte-parole de cette jeunesse ?
D’ici le sommet à Milan, je me suis donné comme objectif de consulter la jeunesse malgache pour être crédible de la représenter d’une seule voix. Dans cette optique, j’ai prévu de rencontrer des jeunes du secteur privé, des jeunes urbains, des jeunes ruraux, des diplomates, des jeunes qui travaillent dans les infrastructures pour vraiment voir comment synthétiser la voix de la jeunesse malgache. On a déjà fait un premier live de concertation avec WWF où des jeunes ont pu s’exprimer. Le ministère de l’Environnement, en collaboration avec Bôndy, a organisé à cet effet une autre concertation la semaine dernière. Il y a eu 40 jeunes membres d’associations environnementales ou à caractère environnemental. L’important c’est que ce soit les jeunes qui s’expriment. Je veux continuer à faire ces consultations dans d’autres localités que ce soit à Mahajanga ou à Andramasina.Â
Vous venez d’un pays qui figure parmi les plus impactés par le changement climatique. Quelle attitude allez-vous adopter à Milan ?
Je n’y vais ni en lanceur d’alerte, ni en activiste mais pas non plus en tant que spectateur. Je vais y aller pour représenter les aspirations de mes compatriotes. J’apporterai la vision d’une jeunesse qui a vraiment envie de travailler contre le changement climatique, de travailler pour Madagascar. Nous l’avons vu concrètement chez Bôndy pendant la saison de reboisement. Nous nous attendions à voir 200 ou 300 bénévoles sur toute la saison sur le terrain mais en quatre mois nous en avions eu 1.850 qui étaient venus les samedis à 7h du matin au Fasan’ny karana. Cela nous a choqués. Cela nous a montré que la jeunesse a envie. Elle attend juste les opportunités pour agir concrètement. Du coup, je veux porter la voix de cette jeunesse qui veut prendre son destin en main. La jeunesse d’aujourd’hui ne veut pas mettre son avenir entre les mains d’une seule personne ou d’un gouvernement. Nous allons essayer de trouver des solutions et s’il y a des choses qu’il faut dire sur une scène internationale, nous allons les dire. C’est une tribune incroyable donc il faut en profiter. Par exemple, nous sommes jeunes, nous avons le droit de choisir quelle énergie nous voulons dans 30 ans.
Vous parlez d’une jeunesse qui veut faire bouger les choses. Ne cherche-t-elle pas un leader ? Ce pourrait-il que vous soyez ce leader ?
Je ne saurais dire si je pourrais être ce leader de la jeunesse. En tout cas, si ce que nous faisons peut inspirer d’autres et qu’ils se retrouvent dans nos valeurs, si 1.850 peut se transformer en 18.000 ou 80.000, ce serait avec plaisir. Nous ne l’avions pas fait pour cela à la base. Nous ne savions pas du tout que les jeunes répondraient massivement à notre appel. Nous nous en sommes rendu compte lorsque que les gens nous contactaient beaucoup sur Facebook. Nous avons ainsi carrément structuré un département « mobilisation citoyenne » qui s’occupe des partenariats avec des associations de jeunes et des jeunes individus.
Comment avez-vous atterri dans le domaine de l’environnement ? Quelles études avez-vous suivies ?
J’ai fait HEC Montréal, une école d’administration des affaires. C’est une formation très vague, généraliste. A la fin de mes études, j’ai décidé de revenir à Madagascar. Je savais que je voulais travailler dans le milieu rural, travailler avec les paysans et les agriculteurs parce qu’ils représentent 80% de la population malgache, mais je ne savais pas encore comment. Après avoir testé plusieurs projets en milieu rural, j’ai fini par arriver sur le thème du reboisement et depuis 2018-2019, je suis le fondateur de Bôndy.
Pourquoi le reboisement ?
Pour nous, le reboisement est une solution plus sociale qu’environnementale. Je ne peux pas prétendre être un écolo pur et dur de la première heure. Le reboisement, je le vois comme le meilleur moyen de développer actuellement les milieux ruraux à Madagascar parce que cela impacte tous les secteurs, la fertilité des sols, la gestion de l’eau, la santé et la qualité de l’air, surtout cela peut rapporter de l’argent aux paysans.
Quel a été le déclic ?
En fait c’est quelque chose de continu. Il n’y a pas eu de vrai déclic. Quand nous étions petits, que nous allions en vacances à Mahajanga, au niveau d’Ankazobe, il y avait tout le temps des feux de forêt. En tant que citoyen qui grandit dans cet environnement-là , cela vous marque l’esprit dès l’enfance. C’est quelque chose que vous cultivez tout au long de votre vie, de voir Madagascar avec les feux de brousse. Une fois, dans les embouteillages, j’ai entendu à la radio que l’Inde avait planté 60 millions d’arbres en une journée. Je me suis dit « c’est tout bête ». A Madagascar, nous sommes victimes de la déforestation et nous avons de vastes terres. Puis, pendant le mois de décembre, quand je voyais tout ce monde qui dit faire du reboisement mais qu’en regardant sur le terrain, six mois après, il n’y a pas grand-chose qui a poussé, voire rien. A ce niveau de réflexion, j’étais encore loin de la réalité. Je savais juste qu’il fallait faire du reboisement. Il y a quelque chose à faire de concret dans le reboisement. Petit à petit, nous nous sommes entourés d’ingénieurs agronomes, forestiers, de spécialiste en SIG (Système d’information géographique).
Quelle est la particularité de Bôndy ?
Notre innovation est vraiment dans la complexité de notre modèle. Nous sommes une entreprise sociale et je ne connais pas d’autre entreprise sociale qui fait du reboisement à Madagascar. Nous voulons changer le paradigme comme quoi le reboisement est un truc d’association, de gouvernement, d’ONG. Le reboisement, si on veut que ce soit bien fait, que ça dure sur le long terme, il faut que ce soit fait par des professionnels qui ne font que ça. Les entreprises ont un devoir d’efficacité pour parvenir à des obligations de résultats. Notre spécificité, c’est qu’on fait tout pour que nos reboisements soient efficaces et ont un impact sur le long terme.
D’après votre expérience, quelles sont les raisons qui font que le reboisement soit un échec à Madagascar ?
Il y a trois raisons principales. Premièrement, il n’y a pas d’expertise technique. Quand une entreprise va aller reboiser, elle va juste se dire « on achète 1.000 plants, on les plante et on communique là -dessus ». Nous, nous faisons des analyses pédoclimatiques de chaque terrain, des analyses de sol, des analyses d’eau, nous regardons la végétation déjà présente, donc il y a vraiment cet aspect technique. Nous avons sept ingénieurs dans l’équipe. La deuxième raison, c’est qu’il n’y a pas de suivi des projets. Nous garantissons le suivi sur cinq ans. Dans notre équipe, nous avons des collaborateurs à temps plein en CDI dont l’unique métier est d’aller voir les parcelles qui ont été plantées. Ils regardent le taux de survie, la croissance. La dernière et la plus importante c’est l’implication des populations locales. C’est sur ce point que Bôndy veut vraiment se distinguer. 80% de nos problématiques internes, de nos efforts, de nos budgets, vont dans le travail avec les populations locales. Cela ne sert à rien d’aller sur le terrain et de dire qu’on va planter ça pour vous. Il faut parler avec eux, il faut faire des consultations générales avec tout le fokontany, il faut approcher les autorités locales, il faut faire des analyses des besoins individuels. 100% de nos arbres sont plantés chez les paysans. Nous n’avons pas de terrains domaniaux, que des terrains paysans. Pour la dernière saison de reboisement nous avons 114 paysans partenaires. Nous sommes allés voir chacun des 114 paysans. Ils ont tous rempli la fiche de besoins avec nous. Nous voulons qu’ils sentent qu’ils sont les maitres du projet. Ils choisissent les espèces sur nos propositions suivant les analyses techniques comme ça ils ont plus intérêt à protéger les plants. C’est un modèle adapté à Madagascar. En fait, tout le monde est gagnant. Les entreprises elles peuvent valoriser et quantifier l’impact de leur projet de reboisement et nous, on peut avoir des projets avec des impacts chez les paysans.
Comment faire la part des choses entre reboisement et greenwashing ?
Nous acceptons le fait que nous travaillons avec des entreprises mais il vaut mieux que l’argent soit utilisé à bon escient, que les fonds soient destinés aux bons endroits, qu’ils aient des impacts sur les paysans, sur l’environnement, sur le changement climatique. En nous confiant leur argent, les entreprises ont la garantie qu’il sera bien investi. Nous travaillons beaucoup avec nos partenaires. Nous les accompagnons dans la conception du projet. Nous ne voulons pas qu’une entreprise vienne vers nous et nous dise, « nous avons 4 millions d’ariary, faites quelque chose avec ça ». Il faut que le nombre d’arbres plantés ait un sens. Il faut que le nombre d’arbres plantés soit lié aux activités de l’entreprise. Nous pouvons évaluer par exemple la quantité d’impact carbone d’une nuit d’hôtel. Nous accompagnons également les entreprises dans la communication. Elles ne peuvent pas dire n’importe quoi parce qu’on pourrait être la victime. On est une jeune entreprise. On évite les bad buzz. On se réserve aussi le droit de refuser des partenariats. On ne travaille pas par exemple avec des entreprises en lien avec la guerre, les armes ou quelques choses comme ça. Nos clients vont de la petite PME qui va nous commander 1.000 arbres à des très grandes entreprises malgaches comme Telma ou des entreprises internationales comme Lacoste.
En étant une jeune entreprise dirigée par un jeune, comment se passe votre relation avec les autorités avec le raiamandrenisme à la malgache ?  Â
Avec les autorités politiques, c’est vrai que quand on était petit en termes de structure, on sent le raiamandrenisme. Sur le moment, on ne le sent pas mais avec du recul. Ce sont des choses subtiles qu’ils essaient de vous faire comprendre. Par exemple quand ils disent à leur staff, « ah ce sont des jeunes, ils ont l’âge de mon fils ». Là , vous finissez par comprendre. Seulement, je ne suis pas là pour avoir l’âge de leur fils. On est là pour parler de projet et on se regarde les yeux dans les yeux. Ensuite, quand le projet commence à grandir, ils nous respectent un peu plus. Plus on a de l’influence auprès de la jeunesse malgache ou auprès des partenaires privés ou auprès des paysans, plus ils nous respectent, plus ils nous considèrent d’égal à égal. Aujourd’hui nos relations se sont bien améliorées comparé à nos débuts. Personnellement, je trouve que la nouvelle ministre de l’environnement écoute les jeunes. Elle comprend que Bôndy participe aux objectifs de Madagascar et qu’il n’y a rien de politique là -dedans. Mais oui, on sent quand même que ce n’est pas toujours facile d’être un jeune dans le milieu.
Avez-vous envisagé être ministre un jour ?
Pour moi, être ministre c’est un pouvoir qu’une fonction vous donne sur une période donnée. Moi, j’ai envie de faire quelque chose qui est durable. C’est pour ça que je préfère rester petit et grandir petit à petit avec quelque chose de sain et sur des bases solides. Je préfère continuer à travailler sur le terrain, à travailler avec la jeunesse et les entreprises qui veulent réellement s’engager, avec les paysans. Je préfère avoir de l’impact et sur certaine influence plutôt que d’avoir un pouvoir qu’une fonction m’attribuerait.Â
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah