Une nation est définie comme étant un groupe humain assez vaste, qui se caractérise par la conscience de son unité et la volonté de vivre en commun. En ce sens, Madagascar n’en est pas encore un,e selon le président du Conseil du fampihavanana malagasy (CFM), Alphonse Maka. Interview.
Studio Sifaka : Le CFM est surtout connu pour la réconciliation sur le front de la politique. La réconciliation ne concerne-t-elle que la politique ?
Alphonse Maka : Lorsqu’on parle du CFM, on a tendance à penser effectivement à la politique. La politique n’est qu’un élément de la réconciliation. Je dirais que c’est la partie visible de l’iceberg. Pour la petite histoire, les contours du CFM ont vu le jour dans la feuille route de sortie de crise en 2009, devenue loi. C’est là qu’est apparu pour la première fois le cadre légal de la réconciliation nationale. Le CFM a pour mission de conduire le processus de la réconciliation. Le CFM n’a pas le monopole de la réconciliation. C’est l’affaire de tous.
A part la politique justement, sur quoi d’autre intervient le CFM ?
Il y a également le volet économique si on parle de la décentralisation effective. Comment voulez-vous parler de réconcilier s’il n’y a pas cette décentralisation. La raison est simple. Tant qu’il y a des malgaches qui s’estiment oubliés ou laissés de côté, il n’y aura jamais de vraie réconciliation dans le pays. Le développement harmonieux et équilibré entre les régions, c’est ce qui peut mettre fin à la rancœur entre Malgaches. Il y a aussi la réconciliation liée à l’histoire. Notre histoire est marquée par des guerres et des batailles entre royaumes. Il y a des relents de ces affrontements du passé qui restent. C’est pour cela qu’il y a des zones qui ne peuvent être foulées par une ethnie précise. Il y a également des règles qui veulent que des jeunes gens d’une telle ethnie ne peuvent épouser des jeunes d’une telle ethnie. C’est légion à Madagascar actuellement. Cela concerne également les castes.
En parlant de cela, pensez-vous que Madagascar remplit la définition d’une nation ?
Le « mieux vivre ensemble » figure parmi les choses qui doivent être mises en place dans le pays. Si un malheur arrive à des malgaches à Ambovombe, dans quelle mesure les malgaches à Maroantsetra ou à Soalala se sentiraient-ils concernés ? Prenons exemple sur les attentats de Boston. Des américains ont été tués mais c’est toute l’Amérique qui a manifesté sa tristesse. Il y a des personnes qui sont massacrées par des dahalo actuellement mais certains malgaches considèrent cela comme un simple fait divers. L’Etat est peut-être là mais la nation reste à construire et le chemin est encore long. Je tiens à souligner que l’unité nationale est encore fragile. C’est triste de voir que les politiques ne s’en rendent pas compte. Il faut faire attention car l’unité nationale est fragile. C’est pour cela que Madagascar est classé parmi les pays fragiles. Il en est de même pour notre jeune démocratie. Ce qui s’est passé en 2018 est une bonne chose. Madagascar avait eu une alternance démocratique. C’est un acquis qu’il faut préserver. Nous ne devons pas retourner dans nos travers.
Peut-on dire que Madagascar est en paix ? Que les Malgaches sont en paix ?
On semble être paix mais on ne l’est pas au final. Certes, il n’y a pas de guerre ouverte mais le feu couve sous la cendre entre les Malgaches. Il faut se méfier de l’eau qui dort. Si jamais ça éclate, les conséquences peuvent être dramatiques. Si on dit que les étrangers font semblant de se battre, les Malgaches font semblant de s’entendre. C’est pour cela que la réconciliation est difficile. Il y a beaucoup d’hypocrisie à Madagascar. Si la réconciliation est faite dans l’hypocrisie, elle ne tient qu’à un fil. Nous, au CFM, nous prônons la mise en place d’espace de dialogue ou de plateforme de concertation en adéquation avec nos valeurs. C’est à travers cela qu’on peut mettre en place la paix sociale. Les Malgaches sont un peuple qui met en avant la paix. Nos valeurs s’articulent autour de la paix. Ce qui est triste c’est que des gens cultivent la haine actuellement. C’est ce qu’on peut voir sur les réseaux sociaux avec des mots choquants, blessants. Les enfants actuels grandissent dans cette atmosphère où la haine semble être entretenue entre les propos haineux et vexatoires. Vous imaginez que voir des cadavres ne choquent plus de nos jours. C’est grave. En tant que président du CFM, je lance un appel pour qu’on ne lésine pas les efforts pour rechercher la paix car sans la paix, il n’y a point de développement.
Comment se passent concrètement les activités de réconciliation ?
Pas plus tard qu’en juillet, il y a eu un malentendu entre Bara et Tandroy, dans une commune dans le district d’Amboasary. J’y étais. Nous avons utilisé les rites traditionnels pour régler le différend parce que ces deux peuples sont très liés par l’histoire. Il y a eu un projet de l’Union africaine issue de la déclaration de Maseru en 2014 pour promouvoir les infrastructures de paix de type traditionnel dans la recherche de la paix durable. Trois pays ont été désignés comme laboratoire dont le Lesotho, Madagascar et le Ghana. Nous avons beaucoup d’infrastructures traditionnelles de paix comme les fato-dra, mpiziva et autres. Ce sont des richesses à notre disposition mais on n’a pas su les exploiter. Dommage, on n’a pas donné suite au projet. Je trouve que c’est adapté en Afrique car nous avons nos propres infrastructures de paix. Parmi nos grands chantier, figure actuellement le cadrage du Dina. Le Dina est une convention villageoise où la communauté est convaincue qu’elle doit prendre en main la sécurité dans leur localité.
Dernière question. Vous avez sûrement déjà entendu des gens dire que Madagascar devrait goûter à une « petite » guerre civile pour tourner définitivement la page. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai que j’ai déjà entendu ce genre de propos. La première fois, c’était en 1986 dans un colloque d’histoire. Un des intervenants a sorti une théorie comme quoi, pour mettre un terme une bonne fois pour toute à cette rancÅ“ur entre Malgaches, il devrait y avoir une guerre ouverte. Ceux qui restent s’entendront forcément. Il avait pris pour exemple les Mozambicains. Personnellement, je ne suis pas d’accord. Il est facile de commencer une guerre mais difficile d’y mettre fin. Je ne souhaiterais jamais qu’une guerre éclate dans mon pays. Il y a aussi des personnes qui disent que le CFM ne sert à rien dans la mesure où il n’y a pas de conflit ouvert dans le pays. Certes, il n’y a pas de guerre ouverte mais il y a une guerre froide.Â
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah