Enquêteur auprès de Human Rights Watch pendant 20 ans, Peter Bouckaert travaille dans le développement rural et l’environnement. Avec l’association Mitsinjo et le Groupe d'étude et de recherche sur les primates, il est l’initiateur de l’association « Nos enfants, notre avenir Madagascar », qui œuvre dans la scolarisation des enfants à Andasibe. Interview.
Studio Sifaka : Comment est née l’idée de « Nos enfants, notre avenir Madagascar » ?
Peter Bouckaert : J’habite à Madagascar depuis quatre ans. J’ai beaucoup travaillé dans le développement rural et dans la reforestation avec le CRS (Catholic Relief Services). Depuis un an et demi, je me focalise sur la reforestation à Andasibe, dans le village d’Anevoka.
Cette année, en pleine rentrée, j’ai été contacté par les responsables de l’EPP du village. Ils m’ont informé du problème d’enfants qui ne fréquentent pas l’école. On a organisé une rencontre avec les familles de 38 enfants, la plupart monoparentales, avec des mères seules, abandonnées par leurs maris. La situation est assez grave. Le fait qu’elles n’arrivent pas à payer les frais d’inscription s’élevant à 15.000 ariary constitue une véritable barrière pour les familles. 15.000 ariary pour inscrire un enfant à l’école, c’est beaucoup trop pour les parents dans les zones rurales. C’est la situation partout à Madagascar. Andasibe n’est pas un cas isolé.
Donc, avec l’association Mitsinjo et le GERP (Groupe d'étude et de recherche sur les primates), on a décidé de commencer un nouveau projet, « Nos enfants, notre avenir Madagascar » ou « Our kids, our future Madagascar » pour chercher les fonds afin d’aider les parents à payer les frais d’inscription mais aussi acheter des fournitures scolaires.
Concrètement, qu’est-ce que vous avez fait pour ces 38 enfants ?
Comme j’ai oeuvré pour les Droits de l’Homme pendant 20 ans avec Human Rights Watch, j’ai beaucoup de personnes qui me suivent sur Facebook. J’ai lancé un appel pour les frais d’inscription de ces 38 enfants. En 4 heures, j’avais assez d’argent pour 100 élèves. Maintenant, on a assez de fonds pour 150 enfants. On a payé les frais d’inscription pour les 38 enfants samedi dernier. On a également réglé les frais pour 13 autres élèves. Mardi, un total de 51 enfants étaient sur les bancs de l’école. Avec une petite assistance, on essaie de faire la différence dans la vie de ces 51 enfants.
Quelle serait la suite du projet ? Comptez-vous répliquer le modèle ?
On a déjà comme intérêt une école près du parc de Ranomafana car j’y ai travaillé avant. Mais on veut commencer avec les écoles autour d’Andasibe et d’Anevoka pour mieux comprendre les besoins des enfants. Il ne s’agit pas seulement de payer les frais d’inscription. Tous les enfants viennent à l’école sans chaussures et en haillons. Mais ils ont surtout besoin de se nourrir chaque jour. On a emmené un enfant à la clinique d’Andasibe après la réunion car il était visiblement malnutri. Pour s’assurer que les enfants restent à l’école, il est important qu’il y ait une cantine pour fournir un repas à midi. On va produire les fruits, les légumes et le riz sur le terrain adjacent, une manière aussi de montrer aux villageois qu’il est possible de cultiver dans le respect de la forêt et surtout sans pratiquer le tavy.
D’autre part, il y a aussi les enseignants qui ont également des charges. On doit trouver le moyen de les motiver car leur salaire est loin d’être suffisant. On va travailler à Andasibe et à Anevoka pour un an afin de voir les différentes dimensions du programme. Lorsqu’on aura une meilleure idée du coût total, on verra si on peut aider d’autres localités.
Il est arrivé que des initiatives de ce genre soient entachées par des détournements. Comment fonctionnez-vous ?
Premièrement, on n’est pas dans une logique d’assistanat. On fait des initiatives durables mais on travaille surtout avec des gens motivés et honnêtes sur le terrain. Mes partenaires principaux qui s’occupent d’implémenter le projet sont Toutoune de Mitsinjo et Rova du GERP. C’est en travaillant avec des gens honnêtes et motivés qu’on peut faire la différence. Nous avons mis en place un groupe Facebook public ouvert. On n’a rien à cacher. Les reçus sont publiés sur le groupe. Nous voulons être transparents pour les dépenses.
D’où viennent vos donateurs ?
Le nom de notre association, c’est « Nos enfants, notre avenir Madagascar ». Une partie de la population qui est très privilégiée à Madagascar pourrait nous aider mais pour le moment, presque tous les dons viennent de l’étranger, essentiellement d’Europe et des Etats-Unis. Nous voulons motiver les Malgaches à nous rejoindre. En tout cas, certains donateurs affirment être prêts à supporter jusqu’à 30 enfants pendant 6 ans. On va trouver le moyen de les mettre en relation avec les enfants. Cette connexion personnelle est importante. Je pense qu’une fois qu’elle sera établie, les donateurs vont continuer à les soutenir parce que ce sont des enfants extraordinaires.
On sent beaucoup d’émotion dans votre voix quand vous parlez de ces enfants …
C’est choquant de voir des enfants qui ont perdu leur maman à cause de la violence du papa. C’est choquant de voir des enfants qui ne mangent pas tous les jours. Il y a une pauvreté choquante à Madagascar. On ne peut pas ignorer cette pauvreté extrême. Il faut qu’on trouve des solutions. Nous sommes engagés pour redresser le pays. Je suis résident à Madagascar. J’adore Madagascar. J’adore le peuple malgache.
Quel a été votre déclic pour prendre cette décision ?
Presque toute ma vie a été dédiée à aider les autres. J’ai travaillé pour Human Right Watch durant 20 ans, j’y ai mené des investigations sur des crimes de guerre. J’ai écrit des rapports partout dans le monde sur les violations des droits de l’Homme et après 20 ans, je me suis dit que j’ai vu assez de massacres, de viols et de tortures. Je veux faire quelque chose de différent. Travailler dans le développement de Madagascar, c’est aussi une manière pour moi de me remettre de tout ce traumatisme. Le peuple malgache est un peuple unique et très gentil. Il m’a beaucoup aidé. Je veux lui donner quelque chose en retour.
Vous avez vu beaucoup de pays en guerre. Madagascar est tristement connu pour être le seul pays au monde à s’être appauvri sans connaître la guerre. Que pouvez-vous dire par rapport à cela ?
C’est la vérité. Madagascar est un pays très riche en ressources naturelles. Donc on doit se poser la question, pourquoi le peuple est si pauvre ! Les ressources de Madagascar ne sont pas utilisées pour le développement du pays. C’est difficile d’accepter  que Madagascar ne puisse pas nourrir sa population. On peut produire assez de riz et de « laoka » pour tout le monde sans difficulté mais on doit travailler ensemble et changer de mentalité.
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah