La pluralité des langues et des variétés dialectales ainsi que des cultures à Madagascar ne rend pas toujours facile l’enseignement et l’apprentissage des langues étrangères et des variétés dialectales de langue, dans toute l’île. Lors de sa participation au XVIIIème congrès international de l’ARIC (Association internationale pour la Recherche Interculturelle) à Saint-Denis, La Réunion, le 27 octobre dernier, Helimandresy Farah-Sandy Ramandimbisoa, doctorante en sciences de l’éducation à l’Ecole normale supérieure de l’Université d’Antananarivo, a présenté sa communication portant sur « l’enseignement des langues en contexte plurilingue et précaire à Madagascar ». Interview.
Studio Sifaka : Pouvez-vous vous présenter et parler du domaine dans lequel vous êtes ?
Farah-Sandy Ramandimbisoa : J’ai 25 ans et je suis doctorante à l’école doctorale « Problématiques de l’éducation et didactique des disciplines » (PE2Di), dans l’équipe d’accueil « Education et multilinguisme ». Je m’intéresse aux questions de pluralités linguistique et culturelle et à l’enseignement des langues. C’est d’ailleurs vers cette direction mais aussi dans une optique d’amélioration de la situation des jeunes malgaches que je m’investis.
En parallèle à mes recherches doctorales, je participe à la formation des jeunes et futurs enseignants de français à l’école normale supérieure d’Antananarivo (ENS), notamment sur la gestion de l’interculturalité et des TICE en cours. J’enseigne également le français et le français des affaires dans divers établissements.
Actuellement, je passe un séjour scientifique à Saint-Denis, au laboratoire ARIC de l’Université de La Réunion, grâce à l’obtention d’une bourse de mobilité doctorale internationale dans le cadre des BGF-SCAC2021.
Quelle est l’importance de ce symposium à vos yeux ?
S’engager dans une thèse, c’est s’engager dans une communauté scientifique pour partager ses recherches et échanger sur les possibilités d’améliorations de celles-ci en vue d’améliorer la qualité de vie d’un groupe social donné. Dans cette visée, le XVIIIème congrès international de l’ARIC s’est vu être une opportunité pour moi, comme pour les autres jeunes chercheurs, issus d’autres pays, de partager les fruits de leurs recherches face à un auditoire international.
Le thème de ce Congrès s’est porté sur les questions d’interculturalité en temps de crise, et le symposium n°10, sur « l’enseignement du français en contexte plurilingue à travers le monde ». Ayant participé, la communication que j’ai présentée mercredi constitue une partie de ma thèse, qui traite de la problématique de l’enseignement des langues en contexte plurilingue et précaire à Madagascar.
Quelles réformes préconiseriez-vous à l’enseignement du français à Madagascar ?
Je ne parlerais pas de réformes, ce serait trop ambitieux, risqué, voire impossible de changer tout un système. Je me pencherais plutôt sur des perspectives d’amélioration de l’enseignement des langues en général, à Madagascar.
L’issue de ma recherche nous dirige vers une réflexion de base sur la formation des enseignants de langue, afin de permettre aux jeunes, surtout ceux qui sont défavorisés, de mieux gérer le contexte plurilingue et pluriculturel dans lequel ils sont amenés à évoluer et à mieux s’intégrer professionnellement et socialement.
Ma proposition serait ainsi de prendre en compte les représentations linguistiques de chacun pendant les cours de langues à travers la mise en place d’une biographie d’apprentissage ou portfolio de langues et d’intégrer également la compétence interculturelle parmi les compétences à traiter. En effet, de nombreuses recherches ont montré l’importance et l’influence des représentations dans l’apprentissage et la pratique des langues. Cet aspect ne devrait pas être mis de côté, car il montre que les images que nous avons des langues pourraient constituer un blocage dans notre apprentissage.
C’est pourquoi, en exposant ces images et nos pensées sur les langues, nous pourrons prendre un recul, échanger sur ces représentations, chercher un terrain d’entente avec les représentations négatives de certaines langues et mieux s’ouvrir à l’apprentissage.
Quels sont les problèmes interculturels auxquels vous avez déjà fait face, dans le monde de l’enseignement ?
L’interculturalité déjà , c’est la capacité d’un individu à entretenir une relation dynamique et saine avec les différentes cultures en présence. Théoriquement, cela paraît simple et possible, mais quand on le vit, c’est tout autre chose.
Il convient de préciser ici qu’une langue véhicule toujours une ou plusieurs cultures. Nous, malgaches, sommes tous les jours confrontés à une situation de pluriculturalisme. Nous avons notre variété dialectale et notre culture toutes deux dictées par nos origines, confrontées aux variétés dialectales et cultures des autres régions, au malgache officiel qui est une langue officielle et majoritairement composée de la variété Merina donc de la culture Merina, au français qui est la langue d’enseignement donc à la culture française et francophone, sans oublier l’anglais ou les autres langues étrangères et les différentes cultures qui vont avec. Toutes ces langues et ces cultures sont associées à une image, et quand les images sont négatives, la relation avec les cultures également, ce qui crée une certaine tension.
Lors de mes enquêtes, nombreux sont ceux qui ont parlé du français en tant que langue des colonisateurs, une langue de « snobs » ou alors une langue « réservée à l’élite ». Les futurs enseignants de français sont également conscients de l’existence de cette mauvaise image véhiculée par la langue française. La présence de cette représentation négative du français, en rapport avec l’histoire du pays, engendre un blocage face à cette langue et une tension avec la culture en question. C’est justement cette réalité qui se trouve être à l’origine de mes recherches qui, j’espère, apporteront leur pierre à l’édifice dans l’amélioration de l’enseignement-apprentissage des langues à Madagascar.
Propos recueillis par Linda Karine
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