Le directeur exécutif de l’ONG Ivorary Hery Rason réagit par rapport à la publication du rapport de la Cour des comptes sur l’audit des flux financiers liés à la lutte contre la COVID-19. D’après lui, les anomalies relatées mettent à mal la crédibilité du pays.
Studio Sifaka : La société civile a été très critique par rapport à la gestion de la COVID-19. Quelle est votre réaction suite à la publication du rapport de la Cour des comptes sur l’audit des flux financiers liés à la lutte contre la COVID-19 ?
Hery Rason : Il faut féliciter dans un premier lieu la Cour des comptes qui a fait un super travail. Mais nous savons que quatre audits avaient été menés. Un audit sur les flux financiers, un audit organisationnel, un audit sur les marchés publics et un audit sur les mesures d’accompagnement. Aujourd’hui, nous n’avons vu qu’un seul rapport et ce rapport n’a été publié que suite à la pression de la communauté internationale, des partenaires techniques et financiers et de la société civile. Ce rapport n’a jamais pu sortir sans tout cela. Cela démontre à quel point la volonté vers la transparence et la redevabilité n’est pas du tout flagrante. Par ailleurs, la Cour des comptes, malgré sa volonté de publier, a été devancée par le ministère de la Justice. La séparation des pouvoirs veut que la Cour des comptes ait la latitude nécessaire pour publier ce genre de document. Nous attendons encore la publication des trois autres rapports. Le rapport qui a été publié pointe du doigt les gestions de fait perpétrés par différents acteurs budgétaires mais il est intéressant de voir qui sont les acteurs et qui sont les réels bénéficiaires des marchés publics dans l’audit sur les marchés publics. Par ailleurs, l’audit organisationnel devrait permettre de voir quelles recommandations formulées pour que les lois et les textes qui vont en découler puissent être cohérents par rapport aux dysfonctionnements relatés. Ce n’est pas pour chercher la petite bête mais vraiment pour formuler des recommandations pertinentes en vue des prochaines crises.
Que pouvez-vous dire sur ce premier document publié ?
Le premier constat c’est qu’il y a plusieurs anomalies et la principale raison évoquée par l’exécutif est l’urgence. L’exécutif a dû répondre à un besoin d’argent immédiat. Il a ainsi eu recours à des procédures extra-légales. En termes de finances publiques, il y a ce qu’on appelle les procédures normales et les procédures dérogatoires. La régie d’avance est par exemple une procédure dérogatoire qui permet de contourner les étapes de la procédure normale. L’Etat n’a pas eu recours à ces procédures dérogatoires mais a fait plusieurs raccourcis qui ne sont pas très orthodoxes.
Des exemples ?
Il y a le paiement en espèce qui est allé jusqu’à 1.9 milliard d’ariary pour 56 opérations. C’est beaucoup de liquide. La raison évoquée est l’urgence et le dérèglement du système bancaire mais à mon sens ce n’est pas justifiable dans la mesure où au contraire, le fait de sortir autant d’argent en liquide du système bancaire dérègle tout mais pas l’inverse. Autre anomalie constatée, l’absence de pièces justificatives. Un exemple donné dans le rapport, l’indemnisation des jokers de cyclopousse de Toamasina. L’Etat a décidé de mettre à disposition 100 millions d’ariary pour cela. Le fonds a été viré vers un magasin par contre ce magasin n’a pas pu présenter les pièces qui pouvaient justifier que le paiement des jokers avaient été effectué. On n’a pas la signature des bénéficiaires mais seulement celle du gérant du magasin pour notifier le virement. Le plus aberrant c’est l’indemnisation des faux positifs. Ils ont été payé à hauteur de 1 millions d’ariary par adulte, 500 000 ariary par enfant sans que ces derniers n’aient fait de requête dans ce sens. Cela a couté 29 000 000 d’ariary. Le rapport en dit très long mais ce ne sont que des exemples.
Ces manquements ne veulent pas tout simplement dire que la législation du pays ne prévoit pas les situations d’urgence ?
Certes. Cela fait d’ailleurs partie de nos recommandations, le fait que la gestion des finances publiques en situation d’urgence n’est pas du tout prise en compte. Pour faire simple, au moment de l’urgence, nous avons créé des structures sans bases légales comme les task force, le Centre de commandement opérationnel. Il y a eu des responsabilités données à des acteurs qui n’étaient pas du tout habilité à prendre certains rôles. On appelle cela une gestion de fait. Mais au-delà du fait que la législation n’est pas adaptée et qu’il faut la réviser, il y a aussi eu des abus. A notre sens, il faudrait que l’Inspection générale de l’Etat y jette un coup d’œil. Mais comme la Présidence est à l’origine de ces gestions de fait, je préconiserais aussi une prise de responsabilité du conseil de discipline budgétaire et financière qui juge les ordonnateurs mais également une prise de responsabilité de la Direction de la brigade d'investigation financière et de l'audit qui juge les comptables publics. Le plus important dans tout cela c’est que ce n’est pas simplement une responsabilité budgétaire. Il y a également la responsabilité pénale derrière tout cela avec les histoires de malversations, de conflits d’intérêts et de corruption qui peuvent relever des juridictions classiques, du Bianco des pôles anticorruption mais également du Samifin.
Quelles pourraient être les conséquences de ces anomalies ?
L’un des instruments de financement qui a été actionné était la Cat DDO (option de tirage différé en cas de catastrophe), une ligne de financement que le FMI, la Banque mondiale et l’Agence française du développement mettent en place en cas d’urgence. Avec les cyclones, nous avons un besoin urgent d’argent. On est forcé d’admettre qu’on a besoin de financement extérieur là tout de suite parce que les caisses de l’Etat sont dérisoires. Notre fiscalité interne ne nous permet pas de lever l’argent nécessaire pour faire face à la situation. Nous ne pouvons que nous tourner vers les partenaires. Ces financements sont pourtant remis en cause car il est question de la crédibilité du pays. Nous pouvons comparer la façon dont nous avons géré l’argent à une épicerie. On ne peut pas sortir l’argent comme on sort l’argent d’une épicerie. Ce sont des mots assez crus mais c’est ce qui s’est passé. L’urgence ne justifier pas tout.
Propos reccueillis par Tolotra Andrianalizah