Marié et père de deux enfants, Fulgence Soja, 32 ans, est un homme épanoui. Ce n’était pas toujours le cas, sachant qu’il est albinos. Il a dû faire face à la persécution dans sa jeunesse, une période de sa vie qui l’a aidé à s’affirmer pour être l’homme qu’il est aujourd’hui.
Studio Sifaka : Cela vous fait quoi de voir les atrocités dont les enfants albinos sont de plus en plus la cible à Madagascar ?
Fulgence Soja : Cela me choque profondément. Je me suis déjà exprimé sur le sujet au niveau de la société. On espère qu’un jour il y aura une association forte déployée sur tout le territoire pour se pencher sur le cas des albinos dans leur quotidien et surtout pour faire face à ces vols d’organe qui ciblent les enfants albinos.
La société peut être sans pitié face aux minorités. Comment avez-vous vécu votre enfance ?
J’ai grandi entre Antananarivo et Mahajanga. Ce que je peux dire c’est que ce n’était pas du tout facile. Là quand je vous parle, on peut dire que je suis un miraculé. J’ai subi beaucoup de choses durant cette période de ma vie et je suis prêt à témoigner et faire figure d’exemple pour la fierté des enfants albinos. Je pense que beaucoup vivent ce que j’ai dû vivre quand j’étais gamin.
Pouvez-vous parler d’un moment qui vous a particulièrement marqué ?
C’est dans les années collèges que j’ai beaucoup subi la persécution. On disait que les albinos sentaient mauvais. Les autres enfants ne voulaient pas s’approcher de moi. Comme j’ai des problèmes de vue, une fois, je me suis mis devant en classe. C’était vers 2000. Les élèves me lançaient alors des choses. Cela avait causé des perturbations durant le cours. Mais ce qui m’avait le plus fait mal c’était l’attitude du professeur que je considérais comme un « raiamandreny » (parent), une personne vers qui je pouvais me tourner. Il m’avait délaissé. Il avait pris fait et cause pour les élèves qui m’avaient agressé et m’avait désigné comme le responsable de l’incident. Je me souviens que quand j’étais rentré à la maison, je me suis plaint à ma mère. J’avais pleuré et je lui avais dit que je voulais arrêter les études. Ma mère avait pleuré avec moi. Comme mon père était déjà mort, elle m’avait dit qu’elle n’avait que l’éducation à m’offrir et qu’il fallait que je retourne à l’école. Après trois jours de discussion avec ma mère, j’y suis retourné. Je me souviens que cela avait changé ma mentalité. J’étais devenu agressif. Parfois un peu trop. Mais j’étais surtout plus extraverti, une posture que j’adopte jusqu’à maintenant.
Vous avez grandi depuis. Vous avez une femme et des enfants. Faites-vous face aux mêmes défis dans le monde adulte ? Â
Ce que j’ai senti c’est que depuis la classe de seconde, il y avait eu une grosse différence grâce à mon attitude plus extravertie. J’ai fait face à plusieurs défis mais je remercie ici un ami proche qui m’avait beaucoup aidé. C’était plus facile d’affronter le lycée. Cela s’est poursuivi en grandissant, en évoluant dans la société car j’ai essayé de ne plus me cacher. J’ai essayé de montrer qui je suis. Les gens ont fini par accepter. Il y a une grande différence entre ce que je vis actuellement et mon enfance.Â
Quel message avez-vous pour les jeunes albinos qui cherchent encore leur place dans la société ?
Cela fait un moment que j’ai analysé la situation des albinos. Ce que je peux leur dire c’est que ce n’est pas anodin pour les autres de vivre avec les personnes comme nous. Les autres ont l’habitude de voir des personnes comme eux. C’est pour cela qu’à notre vue, ils peuvent être gênés. Certains sont curieux. D’autres ont peur. Donc dans une certaine mesure je ne les en veux pas. Mon message pour les jeunes albinos, « varira » ou « bobo », c’est que je les encourage à s’affirmer davantage. Notre couleur de peau n’est pas une faiblesse. C’est une force. Un atout. A nous de l’exploiter. Mais pour cela, nous devons montrer à la société ce que nous valons. Nous pouvons réussir autant que les autres. Un autre problème surtout chez les jeunes hommes et jeunes femmes c’est la relation amoureuse, la crainte de ne pas plaire. Je leur dis : montrez votre beauté, votre valeur. Donnez la chance aux autres de vous connaitre.  Â
Propos recueilli par Tolotra Andrianalizah