Adrienne Irma Rabemanantsoa s’est fait un nom en tant qu’interprète, un métier qu’elle exerce depuis treize ans. On l’a notamment vue entre les présidents Andry Rajoelina et Paul Kagame lors du passage de ce dernier à Madagascar.
Studio Sifaka : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Adrienne Irma Rabemanantsoa : Je m’appelle Adrienne Irma Ramebamanantsoa. J’aurai trente ans dans quelques semaines. Je suis co-fondatrice de l’entreprise AIR Communication spécialisée en traduction et interprétation. Nous sommes trois filles. Une est plus spécialisée dans la traduction, Kesiah, et les deux autres, Ravaka et moi, sommes plus dans l’interprétation. Nous avons également d’autres prestataires de service qui collaborent avec nous.
Quelle différence y-a-t-il entre traduction et interprétation ?
C’est simple, la traduction, elle est écrite et l’interprétation, elle est orale. Je suis plus à l’aise dans l’interprétation mais je peux aussi faire de la traduction.
Quels sont les différents types de prestation dans l’interprétation ?
Il y a l’interprétation consécutive et l’interprétation simultanée. Dans l’interprétation consécutive, l’interlocuteur parle puis je traduis après. Mais avec l’interprétation simultanée qui se fait dans la cabine, je traduis simultanément pendant que l’interlocuteur parle. C’est ce que je préfère.
Pourquoi préférez-vous l’interprétation simultanée ?
Déjà l’interprétation simultanée permet de gagner du temps puisque l’audience entend le message en même temps. Avec l’interprétation consécutive, il faut toujours un temps d’attente et je pense que c’est du gaspillage. Avec l’interprétation consécutive, il faut aussi plus de mémorisation. Â
N’est-ce pas plus stressant ?
Oui. Selon l’Union européenne, l’interprétation simultanée est le quatrième métier le plus stressant. J’avoue, c’est vraiment stressant. Il faut écouter, essayer de comprendre, traduire dans la tête et parler. Tout ça se passe en même temps. Il faut vraiment être concentrée.
Est-ce qu’on peut tenir plusieurs heures dans une interprétation en simultanée, vu le volume de stress ?
Non. Il y a une norme à respecter. C’est à peu près 30 minutes d’affilé. On change toutes les 30 minutes. C’est pour cela qu’on travaille toujours en binôme. Par ailleurs, on ne travaille pas plus de 8 h par jour que ce soit pour la consécutive ou la simultanée. Â
Comment faites-vous pour être au top ?
Il faut bien dormir, avoir un moment pour soi, prendre des pauses. Je soigne aussi mon alimentation. Il faut manger de l’arachide, du poisson, … bref tous les aliments qui aident le cerveau à bien fonctionner.
Comment devient-on interprète ?
Etant donné qu’à Madagascar il n’y a pas encore d’université spécialisée dans l’interprétation, il faut bien sûr maitriser les langues. Moi, j’ai une licence en lettre anglaise et un master en communication. Je tiens toujours à dire qu’il ne suffit pas d’être bilingue pour être interprète. Il y a d’autres compétences à part le fait de maitriser deux langues. Il faut avoir une bonne connaissance générale par exemple parce qu’on peut être amené à être interprète pour des interlocuteurs dans divers domaines. Je conseille à ceux qui veulent devenir interprète de se former sur le tas. Ce que j’ai fait au tout début c’est d’évoluer en tant que stagiaire auprès d’interprètes séniors pour m’améliorer et recevoir des feedbacks. Cela m’a beaucoup aidé.
Il n’y a donc aucune formation à Madagascar pour devenir interprète ...
Pour l’instant, il n’y en a pas. A Ankatso, il y avait la traductologie mais plus maintenant. Toutefois, il y a des matières « traduction et interprétation » dans la filière lettre anglaise et dans les autres langues surement, mais il n’y a pas encore de spécialisation.
Vous dites qu’il ne suffit pas d’être bilingue pour être interprète. En plus de savoir traduire, que faut-il en plus pour être interprète ?
Il faut être rapide et créatif. Il y a aussi la capacité de transmettre les émotions de l’interlocuteur, son énergie, bref de se mettre à la place de l’interlocuteur et de faire passer le message à un pourcentage maximum.
Donc, il y a le côté émotion. Si une personne est fâchée, l’interprète doit être capable de transmettre cette colère …
Oui. Ça m’est déjà arrivé d’être l’interprète durant un évènement où deux personnes étaient vraiment fâchées l’une contre l’autre. J’ai dû transmettre leur colère et leur tristesse. Parmi les protagonistes, il y avait une dame en pleurs. Je n’ai pas pleuré mais j’ai dû faire en sorte de faire comprendre qu’un tel est en colère et un tel est triste. Il y avait même des gros mots (Rires).
Des gros mots ? Comment faites-vous dans ces cas-là  ?
Il faut traduire (Rires). Il y a aussi la partie culturelle qui est importante. Par exemple, selon les régions, il y a des mots qui sont tolérés et d’autres pas. Il faut savoir à qui on a à faire pour choisir les mots adaptés.
Parlez-vous des dialectes ?
Pas encore mais j’y travaille.
Il y a donc une phase de préparation avant une prestation …
Il faut déjà s’informer sur le thème, le type d’interprétation, si c’est une mission sur terrain … Par exemple dans une visite d’Ampanjaka, il faut avoir un "lambahoany" avec soi. Il y a des éléments comme ça qu’il ne faut pas négliger. J’essaie de poser le maximum de questions lors du briefing avec le client pour ne pas avoir de mauvaise surprise.
Comment êtes-vous tombée dans l’interprétation ?
Ma mère est prof d’anglais. Ça a commencé à l’église. Lorsqu’il y avait des missionnaires étrangers qui venaient, on me demandait de faire de l’interprétation. Je le faisais à ma façon. Au fil du temps, j’ai été appelée par quelqu’un de mon église qui travaillait pour une organisation internationale. Il avait dit je m’étais bien débrouillée avec les missionnaires. Au début j’avais peur mais j’avais essayé. Ça s’était bien passé. Puis il y a eu beaucoup de bouche-à -oreille. J’ai été recommandée par plusieurs organisations.
Quand avez-vous commencé l’interprétation en simultanée ?
C’était en 2012. C’était très stressant au début car il y avait les machines et des boutons à manipuler. Heureusement que le technicien m’avait beaucoup aidée. Ce qui était drôle c’est que je n’avais pas su que c’était en simultanée qu’un fois arrivée sur place. Heureusement que j’avais déjà fait des exercices sur un site Internet. Mais ça s’était bien passé.
Vous avez déjà fait l’interprétation à la Présidence notamment lors de la visite du président rwandais Paul Kagamé. Comme cela s’est-il passé ?
Ça fait partie de mes missions les plus importantes, faire l’interprète entre le président Paul Kagame et notre président. Ce n’est plus le choix de mots qui est vraiment stressant mais c’est la partie diplomatique. Il y a eu un breifing avec le protocole où on m’avait dit qu’il y a beaucoup de choses à respecter. Par exemple, il ne faut pas marcher sur le tapis rouge. Même pour la façon de s’asseoir, il y avait un code. Par ailleurs, ils sont très grands et ils marchent vite. Je devais gérer entre essayer de marcher vite pour les suivre, veiller à se faire entendre sans crier et ne pas marcher là où il ne faut pas. C’étaient les autres détails qui étaient stressants puisque la discussion tournait sur des sujets assez vastes. Ils abordaient les choses de manière générale. C’était une bonne expérience au final.
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah