A première vue, on a du mal à croire que cette jeune femme pleine d’entrain soit une syndicaliste. Cheveux teintés, baskets aux pieds, Njelisoa Andriatahina, 32 ans, est pourtant une membre active de la Fisema (Confédération des syndicats des travailleurs de Madagascar) depuis quatre ans. Il faut dire que le syndicalisme a toujours renvoyé une image vieillotte. Interview avec cette ingénieure géotechnicienne qui estime que les jeunes ont intérêt à se syndiquer.
Studio Sifaka : Pourquoi le syndicalisme ?
Njelisoa Andriatahina : Je ne pensais vraiment pas me syndiquer au début, mais des évènements dans ma vie professionnelle m’ont poussée sur cette voie. Quand j’ai eu mon premier enfant, mon droit d’allaitement ne s’était pas passé comme il se devait. J’avais dû lutter toute seule pour l’avoir. J’ai eu gain de cause certes mais j’ai vu que je n’étais pas la seule à vivre cela ou à avoir vécu cela. Cela m’a fait prendre conscience qu’il fallait faire quelque et c’est ce qui m’a amenée à me syndiquer.   Â
Comment la relation avec votre employeur a-t-elle évolué après que vous vous êtes syndiquée ?
Il n’y a pas eu de grand changement avec mon supérieur hiérarchique. Par contre, avec le département des ressources humaines, il y a, je dirais … de la réticence. Dès qu’ils me voient, ils pensent à revendication …
Justement, le syndicaliste est-il toujours dans cette posture de revendication ?
Oui, certes. Surtout chez nous où on voit encore plusieurs manquements aux droits des travailleurs. On a l’impression que les syndicalistes ne font que cela finalement. Mais le syndicat c’est aussi des formations par exemple.
Quel est le taux de syndicalisation à Madagascar ?
Je n’ai pas les chiffres à jour mais c’est entre 9 et 11%. Ce n’est vraiment pas suffisant. Â
Quelle position occupez-vous au sein de la Fisema ?
Je fais tout (rires). Dans l’entreprise où je travaille, je suis la SG de la Fisema et déléguée syndicale. Cela veut dire que je suis membre du comité d’entreprise. En dehors de l’entreprise, je suis la responsable de la formation et du genre dans la fédération mine et énergie. J’aide également le bureau national dans tout ce qui est formation.
Le syndicat a toujours eu cette image vieillotte. Quelle a été votre première impression quand vous vous êtes inscrite ?
Je me suis demandé ce que je faisais là (rires). C’est vrai que presque tout le monde était d’un certain âge, puis je me suis dit que les jeunes doivent prendre leurs responsabilités.
Les jeunes sont-ils assez représentés ?
Non. J’estime à 10 à 15% la part des jeunes dans notre organisation. Je pense que c’est à peu près la même chose dans les autres syndicats. Mon combat est de faire en sorte que plus de jeunes se syndiquent.
Pourquoi les jeunes devraient-ils se syndiquer davantage ?
Premièrement, les jeunes travaillent et la lutte pour les droits des travailleurs concerne tout le monde. Pas seulement les plus âgés. Après, les jeunes doivent lutter pour leur avenir et celui de leurs progénitures.
D’après vous qu’est-ce qui explique ce manque d’engouement chez les jeunes ?
D’abord, il y a cette image … « old » (rires) du syndicalisme. Puis il y a une certaine méconnaissance du syndicalisme. Ce n’est pas comme l’entrepreneuriat par exemple où beaucoup de jeunes se lancent. Je pense que les jeunes ne prennent pas conscience qu’ils peuvent également s’épanouir dans le syndicalisme. C’est peut-être à la vue des leaders syndicaux actuels qui sont d’un certain âge … Enfin, je dois admettre que les activités ne sont pas attrayantes pour le moment.
Avez-vous une anecdote liée à votre jeune âge et votre apparence résolument jeune ?
Récemment, j’ai assisté à des négociations collectives. C’était un dialogue bipartite entre l’entreprise où je travaille et les employés. Sur la table, je me suis retrouvée en face du responsable juridique. Il m’avait dit : « vous m’avez l’air un peu trop jeune ». J’entends souvent ce genre de remarque de la part des plus âgés. On me sort des « par expérience, c’est comme ceci qu’on fait cela. Tu ne comprends pas tu es trop jeune ». Mais je ne laisse pas faire. Ce n’est pas l’âge qui compte. Sinon au niveau national, les tâches sont bien définies et cela limites les conflits. D’ailleurs, l’une de mes missions au sein du Fisema est de justement de redynamiser et de convaincre les jeunes.
Les gens disent souvent que se syndiquer est une porte ouverte à des problèmes au niveau professionnel. Est-ce vrai ?
Oui et non. Cela peut causer des problèmes dans le sens où qui dit revendication dit concession de la part de l’employeur qui n’est pas forcément ravi de le faire. C’est pour cela qu’il y a cette relation a priori conflictuelle. J’ai connu des personnes qui se sont faites renvoyées à cause de cela. Le licenciement n’est pas directement lié au fait qu’elles soient syndiquées mais c’est évident. Le souci c’est que le dialogue social n’est pas encore assez en place.
Parlant de dialogue social, comment se porte-t-il à Madagascar actuellement ?
C’est encore compliqué mais nous faisons des efforts dans ce sens. Le dialogue n’est pas équilibré du fait de la faiblesse du taux de syndicalisation. Le rapport de force va en faveur des employeurs. Il y a de nombreuses entreprises où le dialogue social n’existe même pas.
Lorsque les syndicats se battent, c’est pour le bien de tous, syndiqués ou non. Personnellement qu’est-ce que cela vous fait sachant le faible taux de syndicalisation et les risques que les syndicalistes encourent ?
Je le savais déjà quand je me suis engagée. Je dirais que c’est le militantisme. C’est le fait de croire en la cause qui est important. Si je ne me bats pas pour cette cause ou que mes camarades syndicalistes ne se battent pas pour cette cause, qui le fera ? Qui luttera pour les travailleurs ? Â
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah