On les rencontre partout à Madagascar. Ils font même partie du décor de la capitale. Les enfants en situation de rue sont les révélateurs de la situation socio-économique du pays qui ne cesse de se détériorer. Le 12 avril est la Journée internationale des enfants des rues. Interview avec Nicole Raholiariseheno, coordinatrice Plateforme de la société civile pour l'enfance.
Studio Sifaka : Qu’est-ce qu’un enfant en situation de rue ?
Sont considérés comme des enfants en situation de rue, des enfants qui sont seuls dans la rue, en famille dans la rue ou dans la rue en journée et dans un domicile en famille la nuit. Parmi les enfants qui dorment dans la rue, certains sont sans parents mais avec des frères et sœurs. D’autres sont sans famille et dorment avec d’autres enfants la nuit. Ils s’organisent en groupe pour travailler et dormir ensemble. Il y a aussi des filles-mères célibataires ou en couple seules dans la rue, avec leurs bébés de jour et parfois de nuit, et enfin certaines familles vivent ensemble dans la rue parfois depuis plusieurs générations.
Les enfants en situation de rue ne sont pas forcément des SDF …
Effectivement, des enfants travaillent dans la rue mais dorment dans une maison le soir. Ils vivent soit avec leurs parents, soit avec la famille élargie. Certains parmi eux sont même scolarisés et mais travaillent après les cours. Dans certaines familles, tous les membres travaillent dans la rue. Il arrive que l’enfant est la source principale de revenus surtout quand le parent est malade.
Qu’en est-il de la situation à Madagascar ?
Un recensement organisé en 2017 par l’Unicef et le Ministère de la Population, de la protection sociale et de la promotion de la femme a identifié 2 430 enfants vivant seuls dans la rue dans les six arrondissements de la commune urbaine d’Antananarivo. Nous ne disposons pas des statistiques actuelles mais ce qui est sûr c'est que ce nombre a connu une hausse à cause de l'impact socio-économique de la COVID-19 sur les familles. D'après l'étude anthropologique sur les enfants en situation de rue réalisée par le projet Sandratra et la PFSCE en 2021, les problématiques rencontrées par ces enfants se portent principalement sur les cas de viols et agressions sexuelles, les actes d'agression, l'alcoolisme, les addictions et la stigmatisation de la société. Presque dans toutes les grandes villes de Madagascar, on peut trouver des enfants en situation de rue si on ne cite que Toamasina.
Quel est le thème qui a été retenu cette année pour la Journée internationale des enfants des rues ?
Le thème c’est : « je suis un enfant en situation de rue, j'ai les mêmes droits que les autres enfants ». On a mis l’accent sur la non-discrimination en matière de jouissance de droits.
Comment se manifeste les discriminations envers les enfants de rue à Madagascar ?
Les enfants de rue sont souvent marginalisés et exclus de la société en raison de leur situation de vie difficile. Ils sont considérés comme des délinquants, des personnes dangereuses ou des problèmes sociaux. Ces stéréotypes les rendent victimes de discrimination et de stigmatisation. Cette marginalisation peut avoir des conséquences négatives sur leur bien-être et leur développement. Allant de l'exclusion de la société à une difficulté à intégrer une école, à trouver un emploi, à accéder aux services de santé, à bénéficier d’une protection et à faire entendre leur voix.
Qu’est-ce que la société civile propose par rapport à cette situation ?
En tant qu'acteur dans le plaidoyer, nous relançons l'appel portant sur la mise en place de la Politique nationale sur la protection des enfants et qu'on accorde une importance particulière au cas des enfants en situation de rue dans cette politique. Il est aussi nécessaire de réaliser des actions qui vont permettre de connaître les besoins des enfants afin de mieux y répondre. Le phénomène d'enfants en situation de rue est multi facteur et la solution le sera aussi. Une collaboration de tous les acteurs (public, privé, société civile...) est indispensable. De ce fait, il est indispensable de bien coordonner les actions menées par tous les acteurs œuvrant dans le domaine de l'enfance, notamment ceux qui prennent en charge les enfants en situation de rue. Tout ça pour pouvoir comptabiliser les efforts et tirer les bonnes pratiques à développer.
Sinon qu'est-ce qui a déjà été fait en faveur de ces enfants ?
Déjà , à peu près vingt organisations membres de la plateforme de la société civile interviennent auprès des enfants en situation de rue. Ces appuis offerts aux enfants se portent sur des actions éducatives et sociales (accueil de jour et de nuit, accès à l'éducation et à la santé, accompagnement psychosocial, juridique, administratif...), des réinsertions sociales et des actions de sensibilisation et de plaidoyer. D'autres acteurs collaborent aussi dans la mise en place et le fonctionnement de différents centres d'accueil provisoires au sein desquels les enfants et leurs familles peuvent bénéficier de diverses formations. La célébration du 12 avril en tant que journée internationale des droits de l'enfant est aussi une action importante pour nous. Elle nous permet d'accorder une importance particulière à ces enfants qui sont souvent oubliés par la société.
Comment la journée du 12 avril s’est déroulée cette année ?
Pour cette année, la Plateforme de la société civile pour l'enfance en collaboration avec le projet Sandratra a réalisé cinq activités dont le carnaval « Grande marche des enfants en situation de rue » allant d'Ankorondrano au Stade Alarobia, une cérémonie officielle où nous avons pu faire passer des messages de plaidoyer et mettre en avant l'engagement et les activités de nos partenaires. Il y a aussi eu une table ronde où on a vu la participation des enfants en tant qu'intervenant. Un point d'accueil a également été mis en place avec des consultations médicales, de la distribution de nourriture et un appui juridique pour l'obtention d'acte de naissance. Sinon, la journée a vu divers jeux et animations mais surtout de la sensibilisation.
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah