La gestion des ressources naturelles comme la terre ou l’eau n’est pas évidente même en milieu rural à Madagascar. L’initiative Tsaratanà na prouve qu’il est possible de vivre en harmonie avec la nature.
« L’Homme a une âme, mais avant de lui en parler, qu’on lui donne une chemise et un toit ». Cette phrase résume parfaitement le projet initié par le couple portugais Joachim et Anne Miranda de l’association Yocontingo, lors de la création de Tsaratanà na. Des familles dans le besoin ont été sélectionnées pour réaliser cette initiative qui s’appelait au départ « Une famille, un toit ».
Plus que de simples bénéficiaires, la dizaine de familles, venant d’un peu partout, sont les artisans de leur communauté qui vit depuis 2007, sur le flanc d’une colline dans le fokontany d’Antohibe, à la frontière de la commune d’Ambohidratrimo. Le projet exigeait d’elles un investissement à long terme. C’est d’ailleurs de leurs mains que l’écovillage Tsaratanà na est sorti de terre. Après une formation en charpenterie et en maçonnerie, les hommes ont bâti les maisons. Les femmes et les enfants,, quant à eux ont planté les premiers légumes des futurs jardins potagers que l’on peut voir actuellement sur les lieux. Le partage des tâches était imposé depuis le départ. Le village fonctionne d’ailleurs toujours ainsi. Chaque membre de la communauté a des responsabilités précises et les décisions se prennent toujours de manière consensuelle au sein de l’écovillage.Â
Ecovillage car la dimension écologique et durable est au cÅ“ur du projet. Gestion de déchets, énergies renouvelables, gestion rationnelle de l’eau, épuration des eaux usées, agro-écologie, reboisement, … tout a été pensé pour réduire au maximum l’empreinte écologique des villageois. « Nous devons apprendre à vivre avec la nature », indique le responsable de l’accueil des visiteurs Eric, un des bénéficiaires. « Rien ne se perd totalement dans le village. Les déchets organiques sont transformés en compost tandis que le reste est recyclé. Nous ne brûlons ni ne jetons nos déchets », illustre-t-il. En espace de quelques années, les villageois ont transformé une colline dénudée en proie à l’érosion en un écrin de verdure. D’après Eric, on compte actuellement jusqu’à 4.000 variétés d’arbres dans le village sur un peu plus de 2 Ha. Â
Le lombricompost, l’engrais de « nos petits amis »
Le lombricompost est très présent à Tsaratanà na. On en produit de trois manières différentes dans l’écovillage. La première est le système par étage. Pas besoin d’aller bien loin pour le découvrir. Juste après le parking, une petite formation en bois, que l’on peut prendre pour une simple décoration ou un abri pour oiseau attire l’attention. Affectueusement appelée « La maison de nos petits amis », la formation abrite des vers de terre qui fabriquent donc du lombricompost. Les vers sont placés et sont nourris dans les deux premiers étages avec des déchets végétaux et organiques. L’engrais est recueilli en contre-bas, sous forme solide et sous forme liquide.
Il y a ensuite le lombricompostage simple. Le système est placé près de la cuisine de la cantine de l’école. Les vers de terre sont placés dans un demi-tonneau où l’on jette essentiellement les déchets de la cuisine mais aussi des restes de végétaux. Pour récupérer, l’engrais, il faut par contre tamiser le tout. Eric insiste sur le fait qu’il est interdit de verser de l’eau chaude dans l’ensemble. Les aliments cuits sont également à proscrire, tout comme les œufs. Les coquilles par contre sont souhaitées. « Il faut éviter d’attirer les rongeurs qui risquent de manger les vers », souligne Eric.
Il y a enfin le lombicompostage en manège qui est situé dans le jardin potager de l’école. Il prend la forme d’une construction circulaire en brique assez imposante. Les vers situées à l’intérieur sont nourris de manière cyclique d’où l’appellation « en manège ». Peu importe le système utilisé, le lombricompostage permet d’avoir de l’engrais solide et liquide.
Chouchoutés dans ces différents systèmes, les lombrics dans le sol sont également préservés. Ainsi, on ne retourne pas la terre dans le jardin potager à Tsaratanà na. On aère juste à l’aide d’une fourche. On évite également la monoculture et bien entendu, pesticides et autres produits chimiques sont bannis. « Nos petits amis sous la terre ne supportent ni la chaleur, ni la lumière. C’est pour cela nous prenons le soin de toujours recouvrir le sol soit avec des gravillons pour les chemins, soit avec de la végétation, idéalement du gazon », explique Eric.Â
Des toilettes sèches : ça vous dit ?
Les toilettes sèches ont accompagné les bénéficiaires du projet depuis le début. On peut dire que c’est lepremier concept écologique que les familles ont adopté. Le principe est simple. Les matières fécales sont mélangées à des copeaux de bois pour être récupérées sous forme d’engrais. Comment ? En somme, dans le village, on fait ses besoins un peu à la manière des chats. Le système utilisé s’appelle d’ailleurs « toilettes sèches à litière ». Avant de faire ses besoins, on met un peu de copeaux dans le pot. Une fois qu’on a fini, on recouvre entièrement le tout toujours avec des copeaux. Bref, une litière. Les copeaux ont pour avantage de piéger à la fois l’humidité et les odeurs. Le système éloigne également les mouches. Le résultant est bluffant, même dans les toilettes de l’école, au sein du village qui abrite quand même quelques 170 élèves. Chaque fin de journée, le mélange matières fécales-copeaux est recueilli pour être entreposé dans un endroit au soleil. Il faut attendre 12 mois pour que l’engrais soit fonctionnel. Eric indique toutefois que l’Ecovillage n’utilise pas cet engrais pour le potager mais uniquement pour le gazon, les fleurs et les arbres. « C’est inconcevable pour certaines personnes. Comme nous avons souvent des invités, on a préféré faire ce choix », explique Eric.
L’eau : puisée, récupérée, gérée, préservée
L’eau tient une place importante à Tsaratanà na. Le puits est d’ailleurs la première infrastructure du village, avant les maisons. C’est justement pour préserver la nappe phréatique que les toilettes sèches ont été adoptées. Mais pas que. Les eaux usées des lave-mains et de la cuisine passent par un système d’épuration avant d’être rejetées. Le premier filtre est un bac à graisse et à savon. Les matières grasses y sont retenues par des feuilles mortes. L’eau qui en ressort est ensuite purifiée par un filtre dit plantier. Le village utilise à cet effet des roseaux et du vétiver.
Tsaratanà na récupère également l’eau de pluie. 15 minutes d’averse, c’est 8.000 litres d’eau retenue, récupérée dans 32 tonneaux placés sous les gouttières. Le même principe permet au village de se constituer une citerne de 40 m3 dont l’eau est destinée à éteindre un éventuel feu dans le village. Elle est située au milieu de l’école. Les villageois ont été formés pour faire face à cette éventualité. Sous la cour de l’école se trouve par ailleurs deux grands trous de 40 m3 chacun, recouverts de dalle en béton muni de trous. Ils récupèrent également l’eau de pluie pour humidifier la terre du jardin potager et pour favoriser l’écoulement de l’eau dans la nappe phréatique.
L’eau potable du village est fournie par un château d’eau qui stocke l’eau pompée de la nappe phréatique. Chaque famille a droit à deux bidons par jour de cette eau. Les villageois paient une redevance eau pour financer l’entretien et les réparations. L’eau du puits ouvert n’est par contre pas limitée.
Une école de référence
Le développement de l’écovillage n’est pas passé inaperçu. Devant la dégradation de l’école primaire publique du fokontany d’Antohibe auquel il est rattaché, le chef fokontany et le directeur de l’école ont demandé de l’aide aux porteurs du projet Tsaratanà na. C’est ainsi qu’est née l’école au sein du village, la première école écologique de Madagascar qui accueille 170 élèves de la préscolaire à la classe de 7ème. Elle a été inaugurée en 2014. Le même principe que lors de la construction de Tsaratanà na a été utilisé pour bâtir l’école. Ce sont les habitants du fokontany encadrés par les villageois qui se sont mis à la tâche. L’école a sa cantine qui se ravitaille dans son jardin potager entièrement bio. Les parents et les élèves participent à la production de légumes et autres plantes comme notamment le moringa. Ce sont également les parents qui s’organisent pour faire la cuisine et servir les repas. La cantine sert le déjeuner à midi et le gouter à 10 h. L’école dispense par ailleurs une classe verte qui apprend aux élèves des techniques d’agro-écologie,comme dans le village, aucun engrais chimique ni pesticide n’est utilisé.
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Il est possible de visiter l’écovillage moyennant un ticket d’entrée. La visite laisse difficilement indifférent. Les liens que les habitants ont su tisser, non seulement entre eux mais aussi avec la nature sont impressionnants. La passion et l’entrain avec lesquels le guide Eric s’exprime sont très communicatifs. En plus d’un toit, le village lui a aussi donné une cause à défendre, celle de l’environnement avec le message qu’il est possible de vivre en harmonie avec la nature. Les visiteurs sortent souvent de Tsaratanà na avec cette question en tête : pourquoi l’initiative n’est pas dupliquée dans le pays ?
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Tolotra Andrianalizah