Noel Razafilahy, 75 ans le 25 décembre 2020, figure parmi les journalistes fidèles à l’ancien président, Didier Ratsiraka, de son vivant. Chroniqueur à la plume particulièrement précise dans les colonnes de La Gazette de la Grande île, il partage, dans ces quelques lignes, la nature de ses relations avec l’Amiral.
Studio Sifaka : Depuis quand connaissez-vous l’Amiral ?
Noel Razafilahy : Le connaître, c’est trop de prétention de ma part. Je l’ai vu comme tout le monde dans les années 70, quand il était dans le gouvernement Ramanantsoa. Avant cela, je n’en avais jamais entendu parler.
Depuis quand l’avez-vous fréquenté alors ?
Je le voyais de temps en temps dans les conférences de presse depuis 1975, mais nous nous sommes rapprochés professionnellement du temps où il était président de la République et du temps où je travaillais à Madagascar Matin. Au cours d’un reportage, j’ai fait un article sur la cimenterie d’Ibity et j’ai dévoilé quelques anomalies de gestion dans mes publications. Très fâché, le président m’a convoqué à son palais. Il était question de la gestion d’Ibity, qui était plus ou moins traficotée par deux étrangers, un prince africain et un vazaha. Il m’a demandé si j’avais des preuves et si je pouvais les lui montrer. Je lui ai répondu que je ne m’attendais pas à la question et que je n’ai pas les preuves sur moi. « Publiez-les dans le prochain numéro et je les verrai », a-t-il dit. J’ai fait comme il a dit puis il m’a convoqué à nouveau pour me dire qu’il était content d’avoir vu ce que j’ai écrit. C’était à partir de là que j’ai vraiment connu le président Ratsiraka. J’ai travaillé dans son journal lorsque Madagascar Matin a fermé. C’est à partir de là que je l'ai beaucoup côtoyé, en 1989-1990.
Comment qualifierez-vous la relation que vous aviez avec le président Ratsiraka ?
C’était une relation de journaliste à un personnage important de la République. Ce serait me vanter d’affirmer que je l’ai fréquenté comme un proche. Je n’étais pas un proche. J’étais un journaliste qu’il fréquentait souvent.
Vous avez mis votre plume à son service. Que lui trouviez-vous au président ?
Dire que j’ai mis ma plume à son service, c’est peut-être exagéré. J’ai tout juste fait mon travail de journaliste tout en étant dans la stricte objectivité. Je lui disais ce qui n’allait pas et je lui disais ce qui allait.
En tant que président, quelle qualité lui trouvez-vous ?
Beaucoup de qualités, surtout en tant qu’homme d’Etat. Il était vraiment ce que l’on attendait d’un homme d’Etat. C’était quelqu’un de très cultivé sur le plan politique et sur le plan intellectuel, sur un fond de nationalisme pratique. Sa formation militaire dans la marine lui avait inculqué ce sens de l’honneur et du patriotisme, auquel les militaires étaient soumis, en tant que servitude. Il a toujours voulu servir sa patrie. Je peux dire ça parce qu’en 1973, au moment de la négociation de l’accord de coopération, contre l’avis du général Ramanantsoa, il a exigé que la base de Diego revienne aux Malgaches. C’est ce genre de rigueur et de patriotisme qu’on peut admirer chez lui.
Et si vous devez lui trouver un défaut, ce serait quoi ?
Comme tout grand homme, Ratsiraka avait ses défauts. La seule chose que je peux lui reprocher, c’est d’être trop clément envers son entourage et ses collaborateurs. Même devant un collaborateur qui faisait mal son boulot, il se contentait juste de le réprimander mais pas jusqu’à imposer une sanction.
Pourtant, on disait souvent de lui qu’il était très sévère …
La sévérité se mesure en ce sens qu’il ne laisse pas passer les fautes commises par son entourage. Il ne ferme pas les yeux là -dessus, mais de par son caractère, il a toujours eu l’amabilité d’absoudre ces gens-là et de leur donner la chance de se ressaisir. Prenons par exemple, paix à son âme, un de ses ministres, à qui il a donné un portefeuille important. Ce dernier a littéralement comploté contre lui. Il en a tout juste pris connaissance. En réponse, il a dit qu’il ne pouvait pas le mettre hors du gouvernement. Ce serait le pousser dans les bras de l’opposition. Il l’a gardé jusqu’à ce que le régime tombe. Prenons un autre cas. Un de ses premiers ministres, appelé en principe à être sa relève, s’est mis aussi à faire partie des gens qui avaient comploté contre lui. Quand on en a parlé, il a juste dit : « il est trop pressé. Il ne faut pas l’attaquer dans votre émission. Attendez. Laissez-le faire. Il va se casser la gueule tout seul ». C’est le genre de Ratsiraka.
Comment est-ce de parler à l’Amiral ?
La première fois que je l’ai vu, j’ai tremblé. Quand il m’a convoqué pour cette histoire d’Ibity, j’avais tremblé parce que tout ce qu’on racontait sur lui était vraiment impressionnant, alors pour un petit journaliste, on ne peut s’empêcher de trembler. Mais au fil de la conversation, je me suis ressaisi et j’ai compris que c’était quelqu’un avec qui on pouvait avoir une discussion.
Comment est-ce de se faire remonter les bretelles par Ratsiraka ?
Quand il le fait, il le fait durement. J’étais là lorsqu’il a sermonné un responsable. C’était la seule fois. Il a eu des mots très durs envers ce dernier. Il ne l’a pas insulté, mais il lui a mis les points sur les « i ». Il s’est vraiment fâché.
Comment avez-vous appris son décès ?
J’ai appris d’abord qu’il était malade. J’ai contacté sa fille Annick qui a dit, « oui c’est vrai, il est à l’hôpital pour une petite grippe mais ce n’est pas grave ». Je ne m’attendais pas à ce que ça finisse mal comme ça. Un bon matin de dimanche, voilà qu’une dame qui voulait le rencontrer et dont j’ai organisé l’entrevue avec le président, me téléphone et me dit, « est-ce que vous êtes au courant que le président est mort ? » Là j’étais surpris mais j’étais obligé de m’y faire comme tout le monde. Il doit un jour mourir.
Sur le coup, qu’est-ce que cela vous a fait ?
Sans tomber dans la mièvrerie, je n’ai pas pu m’empêcher de verser une larme. Parce que sur le plan personnel, il a fait beaucoup pour moi, pour ma famille. Par exemple, quand ma femme était décédée, sans que je ne lui demande quoi que ce soit, il m’a aidé pour l’enterrement. Ce sont des choses qui ne s’oublient pas. Ça vous lie à quelqu’un.
Ratsiraka a paru éternel, ne serait-ce que par rapport à sa dernière intervention télévisée. Cela vous fait quoi de parler de lui au passé ?
Moi-même je ne m’attendais pas à ce qu’il meure à cet âge-là . Je croyais qu’il avait encore beaucoup d’années devant lui, mais quand j’ai entendu les gens parler de sa dernière émission sur TV Plus, beaucoup avaient l’impression qu’il était en train de faire ses adieux. Ça m’a étonné, mais là , j’ai revu l’émission, et j’ai compris pourquoi les gens avaient cette impression. Le monsieur parlait comme s’il allait quitter le peuple malgache. Il a dit qu’avant sa mort il aimerait que l’on sache les vérités que les malgaches doivent connaître.
Quand est-ce que vous lui avez parlé pour la dernière fois ?
C’était une semaine après le nouvel an. Je suis venu à son bureau pour lui souhaiter mes vœux de bonne année. On a fait quelques échanges. Il était comme d’habitude, il parlait. Il m’avait demandé « quelles sont les nouvelles ? ». « C’est le traintrain quotidien. Tout le monde veut devenir premier ministre, ou ministre », lui ai-je dit. Il a rigolé. Malgré son âge, il avait toujours cette vivacité d’esprit. Il n’était vraiment pas le vieillard sénile qu’on disait. Le plus impressionnant chez lui, c’est qu’on dirait que l’âge n’avait pas d’emprise sur lui. Sur le physique peut-être, mais côté intellectuel, il a toujours été le même.
Quel héritage pensez-vous que Ratsiraka a laissé à Madagascar ?
Quand il disait en chanson en imitant Edith Piaf « Non rien de rien, non je regrette rien », je peux vous garantir qu’il a laissé beaucoup d’héritages à Madagascar, sur le plan du savoir en général, je parle de l’enseignement et tout, mais aussi du pouvoir en mettant en place les fokontany. Il a aussi aidé beaucoup de jeunes à devenir entrepreneurs, à avoir une meilleure situation que leurs parents. Je peux dire qu’il a laissé un énorme héritage à Madagascar. Malheureusement, ses détracteurs n’arrêtent pas de dire qu’il n’a rien fait pour le pays. Il y en a même qui disent qu’il a détruit le pays. Mais c’est selon.
Cela vous fait quoi justement d’entendre les détracteurs de Ratsiraka, dans la mesure où il a été assez clivant comme personnage ?
Ceux qui le critiquent n’ont peut-être pas tort parce qu’ils ne connaissent qu’un seul volet de l’existence du président Ratsiraka. Mais pour ceux qui l’ont connu, qui l’ont fréquenté, c’est difficile de faire des critiques, disons, très dures envers lui. Parce que dans sa mort, il emporte dans sa tombe beaucoup de vérités, qu’il n’a pas tenu à dire, des choses qu’il a gardées pour lui. S’il avait tout dit, il serait difficile pour ses détracteurs de continuer de le dénigrer. Et là , je me souviens d’un de ces propos qu’il aimait répéter : « on peut cracher sur ma tombe, mais on ne peut cracher sur ce que j’ai réalisé ». Ça se résume à ça. Les gens qui le critiquent peuvent méditer là -dessus.
Est-ce que cela lui arrivait de sourire parce qu’il dégageait souvent cette image sévère ?
Je l’ai vu sourire durant les tournées en rencontrant la foule. C’est là que je l’ai vu sourire plusieurs fois. Je l’accompagnais souvent lors des campagnes électorales et les visites dans les provinces. Ce n’était pas un sourire forcé mais plutôt des sourires qui venaient du cœur, parce qu’il était content de parler aux gens, de leurs vécus. Il souriait à ces gens-là .
Et au Palais ?
Au Palais, je ne l’ai jamais vu sourire. J’y allais souvent mais je ne l’ai jamais vu sourire. Il avait cet air austère parce qu’il avait cette habitude d’être scotché à ses responsabilités.
Vous étiez habillé en rouge durant les funérailles. C’est assez atypique à Madagascar. Une signification particulière ?
J’ai mis une chemise rouge et un pantalon noir. C’est l’uniforme des membres du MFM. Comme je vous ai dit, j’ai commencé comme caricaturiste dans le journal du MFM Ndao ! J’ai toujours suivi le parcours politique au sein du MFM. Dans le temps, j’étais dans le MFM de Manandafy. Je n’ai jamais été membre de l’Arema. Mais j’étais plus proche de Monja Jaona et par la suite, plus proche de Ratsiraka, sans me brouiller pour autant avec Manandafy. J’étais toujours un pro-MFM, le président l’a su mais m’a accepté que je sois parmi les Ratsirakistes. C’était en souvenir des relations de Manadafy et de Ratsiraka.
Durant sa carrière politique, il a eu pas mal d’adversaires. A-t-il eu de l’animosité envers eux ?
Je ne peux pas affirmer s’il avait de l’animosité pour eux ou pas. Prenons le cas du pasteur Andriamanjato, qui avait beaucoup fait pour le renverser sur la place du 13 mai. Quand le pasteur était président de l’Assemblée nationale, il a eu une relation que je qualifierais de très institutionnelle avec lui, mais sans animosité. Le pasteur s’est même déplacé pour lui proposer Ny Hasina, son fils, comme ministre. Il l’a fait. Il en est de même pour Lila Ratsifandrihamanana. Il m’a même dit, « je dois les prendre. On ne peut pas gouverner tout seul ce pays ».
Et par rapport à Albert Zafy ?
Ils ont étudié ensemble en France dans le temps. La politique étant ce qu’elle est, il se trouvait qu’il s’est brouillé avec Zafy en 1991 mais il n’en a pas fait un drame. Il a toujours eu des contacts avec Zafy pour diverses raisons. Je ne l’ai pas vu bouder ou s’éloigner de Zafy. Au fond de lui, peut-être qu’il en voulait à Zafy mais il n’a jamais voulu montrer ça publiquement.
Et le dernier en date, Marc Ravalomanana ?
Là , je peux vous dire que ce qu’il m’a confié est très dur. Il y avait un officier qui lui a reproché d’avoir embrasséRavalomanana, dans certaines occasions, après l’histoire de Dakar. Cet officier-là m’a chargé de lui dire que ses amis et lui étaient déçus que le président agisse de la sorte avec Ravalomanana, c’est-à -dire l’embrasser et avoir des contacts avec lui. Et voici ce qu’il m’a dit : « dites à ces officiers que moi, je fais de la politique et quand on fait de la politique on ne peut pas haïr des gens. Mais pour le mal qu’on m’a fait – sans nommer Ravalomanana – je suis du genre qui dit ceci : pour les gen,s la vengeance est un plat qui se mange froid. Mais pour moi, la vengeance est un plat qui se mange congelé ». A vous de prendre ça comme vous voulez.    Â
Noel Razafilahy était caricaturiste et coursier au journal MFM Ndao en 1973 quand Manandafy était en prison. Après une formation à l’institut de promotion sociale, il est devenu pigiste chez Madagascar Matin. En 1976, Latimer Rangers l’a embauché dans le journal L’Eclair jusqu’en 1982. Il a également travaillé pour La Croix. Après un stage aux Etats-Unis, il intègre le Journal de Madagascar du président Ratsiraka vers la fin des années 80, pour ensuite être chroniqueur dans la Radio Tsioka Vao. Après, il est passé par le Times de Madagascar puis par La Nation. Il est actuellement à La Gazette de la Grande île.
Propos recueillis par Tolotra Andrianalizah