Des petites remarques « innocentes » aux attouchements. Le cas du gouverneur de l’Alaotra Mangoro qui aurait eu des propos et des comportements inappropriés à l’égard de jeunes françaises en mission civique dans la région a mis le doigt sur une réalité peu reluisante que vivent de nombreuses femmes dans l’administration.
« J’ai l’habitude. On me fait souvent des remarques sur mon physique mais je me souviendrais toujours d’un gars qui m’avait fait des avances avec des mots explicites. Ça m’a dégouté », lance une jeune mère de famille qui a travaillé dans un département ministériel. Une journaliste pour sa part évoque son gêne quand, en marge des évènements, des hommes haut placés se permettent parfois de placer une main sur son bras ou dans son dos, des gestes considérés comme anodins mais qui ne le sont finalement pas pour les femmes. « C’est gênant. Tu es tiraillée entre l’envie de jeter leur main et de garder une relation avec les sources. Une fois le directeur d’un ministère n’a pas hésité à me proposer un cadre indécent pour une interview », confie-t-elle. Les agissements des hommes de pouvoir ne s’arrêtent pas qu’à des propos et des attouchements. Il arrive que cela dégénère en agressions sexuelles proprement dites. Seulement à Madagascar, il est difficile de faire entendre sa voix surtout lorsque l’agresseur est dans la sphère politique.
La riposte
Dans le cas du gouverneur d’Alaotra Mangoro, les présumées victimes sont françaises et les conséquences vont au-delà du harcèlement car, dans une lettre qui lui est adressée, le président du département d’Ille et Vilaine a signifié sa décision de suspendre sa participation à la coopération décentralisée avec la région. L’affaire a fait grand bruit car la lettre a fuité sur les réseaux sociaux. Le parallèle avec les scandales sexuels en France est vite fait où le nom des présumés agresseurs sont vite jetés en pâture aux médias. Marie Christina Kolo de l’association Women Break the Silence indique toutefois qu’il n’est pas plus naturel en France que le silence soit brisé. « C’est aussi très récent. Il y a le hashtag #metoo mais le #metoo politique est beaucoup plus récent », indique-t-elle en précisant toutefois que ces jeunes femmes n’avaient pas l’intention de se faire exposer de la sorte sur les réseaux sociaux.
Il n’en fallait pas autant pour que le gouverneur se fasse clouer au pilori par un public malgache en mal de sensation. La riposte ne s’est pas fait attendre. Dans des propos relayés dans un journal télévisé, le gouverneur qui a nié les allégations, a fustigé une attitude indécente et irrespectueuse des jeunes femmes non sans préciser leur jeune âge. Cette argumentation a été reprise par des personnalités proches du gouverneur sur les réseaux sociaux qui n’hésitent pas à s’attaquer ouvertement aux présumées victimes. « Ça peut sembler facile mais pour celles qui le vivent ça ne l’est pas. Je ne pense pas qu’elles s’attendaient à ce que toute la sphère sociale de Madagascar réagisse. Certains pensent à bien mais d’autres les diffament manifestement », déclare Marie Christina Kolo.
Masculinité toxique
Pour les femmes malgaches, briser le silence dans le cas d’un harcèlement voire d’une agression sexuelle est difficile. L’affaire est d’autant plus compliquée quand elles ont à affronter des hommes de pouvoir. Marie Christina Kolo décrit d’ailleurs le monde politique malgache comme un monde où les hommes se plaisent à montrer un peu de leur masculinité toxique. « Les violences sont banalisées quand il s’agit de personnalités politiques. On se dit que quand un homme a du pouvoir, il aura besoin de le montrer dans un certain rapport de force vis-à -vis des jeunes femmes et des femmes en général », lance-t-elle confirmant au passage le nombre élevé de cas de harcèlements sexuels au sein des institutions publiques. Women Break the Silence mène d’ailleurs un plaidoyer sur l’intégration obligatoire de formations antiviolence basée sur le genre et de politique anti-harcèlement sexuel au sein des entités publiques. Sur ce front, la mairie d’Antananarivo est la seule à avoir travaillé sur un code de bonne conduite, incluant dans son règlement interne les cas de harcèlement sexuel.
Mais comment les femmes malgaches peuvent-elles se faire entendre ? « De plus en plus de victimes se tournent vers les structures comme la nôtre. Nous ne sommes pas la seule à accompagner les victimes de violences. Ce qu’on constate, dans le cas des personnalités politiques, c’est qu’on ressent très vite le besoin de se tourner vers des associations qui pourront donner plus de poids à la plainte, déclare Marie Christina Kolo. Pour que les victimes soient prêtes à briser le silence, il faut leur montrer qu’elles peuvent être protégées ». Une protection qui ne serait pas toujours assurée même au niveau des forces de l’ordre. Même si elle indique qu’il y a un désir au sein de la police et de la gendarmerie de mieux comprendre la loi sur les violences basées sur le genre, « dans la pratique, ce n’est pas évident ». « Il faudrait améliorer tout ce système de protection des victimes, protection de témoin pour que de plus en plus de personnes puissent commencer à se sentir en sécurité et à parler », insiste-t-elle.
Présomption d’innocence
Les réseaux sociaux ont apporté une autre dimension dans la lutte contre les violences et pour la libération de la parole. Cela s’est matérialisé dans les pays occidentaux par les hashtags #metoo ou encore #balancetonporc. Accusés d’aller vite en besogne par les présumés agresseurs qui avancent la présomption d’innocence, les réseaux sociaux sont pointé du doigt pour alimenter une sorte de tribunal médiatique qui devance la justice. Marie Christina Kolo voit de son côté les réseaux sociaux comme un moyen de mobiliser et d’alerter. « C’est vraiment ce rôle d’alerter qui est important. Il faut un équilibre entre le fait d’alerter et de tout de suite juger la personne », précise-t-elle. Sur la question de la présomption d’innocence, Marie Christina Kolo indique que les juristes sont dans leur rôle quand ils condamnent cette manière de faire. « Leur rôle c’est de croire en la justice. Moi en tant que militante, j’ai vu un pourcentage élevé de plaintes qui n’aboutissent pas. Avec la pression politique et les cas de corruption, à un moment donné, la balance se trouve dans la nécessité d’alerter ou pas », déclare-t-elle. Â
Pour le cas du gouverneur, elle estime que l’affaire doit vraiment être grave pour que la coopération entre le département d’Ille et Vilaine et la région Alaotra Mangoro en soit affectée. « On ne coupe pas des relations diplomatiques interrégionales comme ça du jour au lendemain juste parce que des jeunes filles auraient fait de fausses accusations ». Des acteurs du secteur du tourisme dans la région ont d’ailleurs déjà émis leur inquiétude par rapport à l’évolution de la situation.
Tolotra Andrianalizah